Galerie Mouradian 41, rue de Seine [Extrait]

Introduction

Quatre histoires s’entrelacent tout au long de ces pages sur la galerie Mouradian : la biographie intellectuelle et affective d’Aram Mouradian ; la rencontre étincelante de Mouradian et de Max Ernst ; l’aventure exemplaire du 41, rue de Seine ; le rôle décisif des galeries parisiennes durant cette période. On découvre en Mouradian un intercesseur majeur. En janvier 1926, à un moment-clé, cet Anglais d’origine arménienne fonde une galerie avec le juif hollandais Leonard Van Leer. L’exposition mémorable Max Ernst de mars 1926, puis celle de mars 1927, vont contribuer au lancement du peintre surréaliste. Mouradian défend une peinture moderne dans le sillage de Cézanne. Ont ses faveurs des artistes aussi dissemblables que les surréalistes et les peintres de l’École de Paris. Jusqu’à sa mort, il aura organisé des dizaines et des dizaines d’expositions mettant en valeur des dizaines d’artistes.

Des critiques d’art, comme Waldemar George, Paul Fierens, Tériade ou André Warnod, des revues comme Cahiers d’art, La Révolution surréaliste ou Transition, des journaux comme Comœdia ou le Journal des débats politiques et littéraires, ont alimenté la chronique des expositions du 41, rue de Seine. En revanche, la galerie de Mouradian et Van Leer a dû subir, comme d’autres galeries modernistes, une violente campagne de dénigrement, sur le thème de « L’art français en péril », par Maurice Feuillet dans Le Gaulois artistique.

La galerie du 41, rue de Seine connaît ses heures de gloire pendant les années vingt et trente. En 1940, Mouradian, en tant que sujet anglais, est arrêté ; il sera détenu à la grande caserne de Saint-Denis durant l’Occupation. De 1955 à 1966, ont lieu des expositions marquantes de Krémègne, Max Ernst, Dorothea Tanning ou Derain ainsi que du sculpteur Merlier, la dernière découverte de Mouradian. En 1966, le Premier Festival Saint-Germain des Arts réunit cent-vingt galeristes, libraires, antiquaires ou encadreurs qui veulent fêter l’art et promouvoir Saint-Germain des Prés. Aram Mouradian est le Président honoraire du comité d’organisation. Sa galerie a quarante ans, c’est la plus ancienne du quartier.

De 1926 à 1934, le 41, rue de Seine est à l’enseigne de la « Galerie Van Leer » : Aram Mouradian et Leonard Van Leer sont également associés au destin de la galerie. Par la suite, et jusqu’à sa mort en 1974, Aram Mouradian est pratiquement seul aux commandes, bien qu’associé à Alfred Vallotton et que la galerie s’appelle « Mouradian et Vallotton » puis « Les Arts plastiques modernes ».

En égrenant simplement les noms des peintres exposés de 1926 à 1934, et tout en sachant que certains d’entre eux, comme Max Ernst ou Krémègne, ont  été exposés à plusieurs reprises, on découvre que Mouradian et Van Leer ont accordé leur confiance aussi bien aux Maîtres modernes qu’aux surréalistes et à l’École de Paris : Jean Launois, Max Ernst, Derain, Dufy, Krémègne, Krohg, Modigliani, Pascin, Renoir, Soutine, Utrillo, Constant Permeke, Richard, Billette, Rouault, le Douanier Rousseau, Hermine David, Charlotte Gardelle, Étienne Bouchaud, Kogan, Gritchenko, Picabia, Roland Penrose, Alvaro Guevara, Kotchar, Meraud-Michael Guinness, Delbrouck, Defize, Savitry, Chirico, Sei Koyanagui, Valentine Prax, Kisling, Miró, Hilaire Hiler, Man Ray, Antoon Kruysen, John Graham, Annenkoff, Chiltian, Tozzi, Sakata, Aoyama, Renée Delatre, Jean Bazaine, Paul Filleul, Kurt Hinrichsen, Elvire Kouyoumdjian, René Morère, Simonnet, Guidette Carbonell, Babayan, Milan Konyovitch, Béatrice Appia, Karl Hindenlang, Bonnard, Varga, Léo Kahn, Greta Mander, Robert Staeger, Arbit Blatas. On remarque une forte participation d’étrangers ; des jeunes ou de nouveaux artistes sont sollicités ; les femmes ne sont pas négligées.

Deux événements concomitants se sont produits au milieu des années vingt. Alfredo Gangotena (1904-1944), le poète équatorien écrivant en français, fait sensation alors qu’il a juste vingt ans ; sa poésie sombre et mystique, fracassée et lyrique, est tout de suite reconnue par Jules Supervielle, Henri Michaux, Max Jacob, Pierre Morhange, Jean Cocteau ou par le jeune surréaliste Jacques Viot, secrétaire de la galerie Pierre. L’autre événement concerne une autre venue à Paris, celle d’Aram Mouradian, qui fonde une galerie et va bientôt s’éprendre de Fanny, la sœur d’Alfredo Gangotena.

José-María Jimenez-Alfaro Mouradian, après avoir rendu hommage à son grand-oncle Alfredo Gangotena, entend célébrer la mémoire de son grand-père Aram Mouradian. Cet ouvrage n’aurait jamais pu exister sans les encouragements et la persévérance de José-María Jimenez-Alfaro, qui a mis à notre disposition toutes les archives de son grand-père.

Monique et Georges Sebbag

Références

« Introduction », Galerie Mouradian 41, rue de Seine / De Max Ernst à Merlier, Silvana editoriale, 2018.