Eugenio Granell & André Breton

Couverture Los Granell de Andre Breton

 

En mai 1941, le futur peintre Eugenio Fernandez Granell, à l’intelligence déjà bien trempée et au tempérament d’artiste, n’est alors qu’un républicain espagnol en exil depuis un peu plus d’un an en République dominicaine. C’est à cette date qu’André Breton, venu de Marseille, fait escale à Ciudad Trujillo, après avoir séjourné en Martinique et visité la Guadeloupe. Le poète surréaliste est sur le chemin de l’exil à destination de New York. Granell saisit l’occasion pour rencontrer, en tant que journaliste, André Breton, auquel il pose une série de six questions. escena virtual de cruel del tiempoL’entretien paraîtra, traduit en espagnol, dans le journal La Nación du 21 mai 1941 sous le titre « André Breton nos habla de la actual situación de los artistas franceses ». Une photographie suggestive, montrant Breton et Granell de profil l’un en face de l’autre, illustre le texte. La légende de la photo témoigne du caractère amical de l’échange : « El escritor francés André Breton, conversando amigablemente con uno des nuestros redactores en la terraza del hotel en que se hospeda. » Les réponses, longuement méditées et couchées par écrit, font le point sur le surréalisme. Breton réaffirme la nécessité de la création par les surréalistes d’un mythe collectif et pense que c’est à New York, vu que la guerre fait rage en Europe, que devraient converger « toutes les routes de la grande aventure artistique ».

L’entrée en surréalisme de Granell

Eugenio Granell a présenté André Breton aux lecteurs du journal comme étant l’ami de Picasso en Europe et de Diego Rivera en Amérique. Il ne fait pas de doute que commence pour Granell, à partir de mai 1941, une aventure surréaliste. Son vœu le plus cher, qui sera exaucé, est de devenir l’ami de l’auteur du Manifeste du surréalisme. Comment expliquer ce subit intérêt pour le mouvement surréaliste ? Auparavant, Granell n’avait fait que croiser en Espagne, durant la guerre civile, Benjamin Péret[1]. À Ciudad Trujillo, la brève rencontre avec André Breton, ainsi que la rencontre substantiellement plus longue avec le peintre cubain Wifredo Lam affichant désormais une identité surréaliste, jouent le rôle de déclencheur dans l’orientation nouvelle de Granell et peut-être même dans sa vocation de peintre. Cependant, si le régime politique de la République dominicaine pouvait paraître acceptable en 1941, il n’en ira plus de même les années suivantes. La censure veillant en particulier sur la correspondance, Granell aura toutes les peines du monde à communiquer avec Breton installé à New York. Cependant, cela ne l’empêchera pas, deux ans après le mémorable entretien, de faire paraître un court article indiquant que la prédiction de Breton était en voie de réalisation puisque le centre artistique du monde s’était déplacé de Paris à New York, pour l’essentiel grâce à la constance de l’animateur de l’ancienne revue Minotaure et à l’énergie des artistes surréalistes qui avaient convergé aux États-Unis[2]. Dans les premiers mois de 1944, une fois encore, il tente la jonction avec la mouvance surréaliste, via Benjamin Péret exilé à Mexico. loiseau edifie son paysageOr ce dernier, devant cette initiative, manifeste beaucoup plus de réserve que d’enthousiasme, comme le montre la lettre de Péret à Breton du 28 avril 1944 : « J’ai reçu une lettre d’un personnage que tu dois connaître : E. F. Granell… Ciudad Trujillo, Rép. dominicaine. Il publie une petite revue[3] et est en relation avec Caceres, au Chili. Il dit que cette revue est orientée vers le surréalisme et demande ta collaboration, la mienne et celle de Lam. Qui est ce Granell ? je ne lui ai pas encore répondu ne sachant pas très bien à quoi m’en tenir à son sujet. Je sais bien que c’est un ami de [Victor] Serge mais ce n’est pas une recommandation pour la clarté des idées. » La réponse de Breton du 31 mai 1944 paraît encore plus étonnante que la réserve exprimée par Péret : « Je ne me souviens pas de ce M. Granell. Reçu de Londres un pamphlet très intéressant de Londres, Idolatry and Confusion, de Brunius et Mesens. » La mémoire de Breton a flanché trois ans après l’entretien de Ciudad Trujillo. On pourrait avancer un début d’explication : si Breton avait conservé la coupure de La Nación portant sur l’entretien, cela ne lui aurait été d’aucune aide car le nom de Granell n’y était pas mentionné.
Une divine surprise attend néanmoins Granell qui entre-temps s’est engagé dans la voie de la peinture. André Breton, après avoir passé plus de deux mois à Haïti, débarque une seconde fois à Ciudad Trujillo, le 18 février 1946, le jour anniversaire de ses cinquante ans[4]. À cette surprise s’ajoute un fait nouveau. Alors que cinq ans auparavant, Granell avait fait la connaissance du couple Jacqueline et André et de leur fille Aube, il rencontre cette fois-ci Élisa, la nouvelle épouse de Breton, arrivée du Chili le 21 février, avec laquelle il pourra s’entretenir en espagnol. Le 24 février, dans un article intitulé « Saludo a André Breton », Eugenio Granell ne manque pas de rendre un vibrant hommage à celui qu’il considère comme un modèle poétique et artistique indépassable de l’époque : « Cuando, en el futuro, sea preciso fijarse en el arte de nuestro tiempo, se hará indispensable señalar, para mejor fijarlo, su indice supremo ; habrá por fuerza que centrar la visión en esta inmensa figura de nuestra epoca que es André Breton. » Surtout, Granell, qui met sa création de peintre au-dessus de son rôle de journaliste, ne manque pas de soumettre ses tableaux et ses dessins au jugement de l’auteur du Surréalisme et la peinture. Ayant le bonheur de constater que Breton apprécie sa peinture, il lui offre L’Heure d’été, une huile sur carton de petit format où des spectres schizophrènes se détachent sur l’horizon d’un fond bleu intense. Même si l’on songe à Brauner, Chirico ou Lam, ces apparitions spectrales, masculines ou féminines, pourvues de ramifications ou d’antennes, campent une version originale, pacifiée et tragique, d’une exposition sur la plage après le bain, ou d’une mutation humaine à l’issue d’un cataclysme ou d’une grave crise, comme semble l’indiquer le personnage horizontal en apesanteur. On peut déduire de deux lettres de Breton à Granell que c’est bien L’Heure d’été qui a été offert en février 1946 au poète surréaliste. D’abord, dans la lettre du 12 janvier 1947, invitant Granell à participer à l’Exposition internationale du surréalisme à la Galerie Maeght, Breton fait allusion au format de L’Heure d’été et à son fond bleu : « Cabeza de Indio ne m’est pas parvenu[5] mais le petit carton à fond bleu m’entretient journellement de vous et des îles. » Ensuite, dans la lettre du 23 juin 1948, dans laquelle Breton donne à Granell des nouvelles de Caceres, de Lam et de Péret, il lui précise que, pour des raisons de délai, seul le petit carton offert à Ciudad Trujillo avait pu être photographié et reproduit dans le catalogue du Surréalisme en 1947 : « Comme je vous l’avais dit en son temps[6], vos toiles sont arrivées trop tard pour être photographiées. J’ai dû vous représenter seulement par la reproduction (trop petite) de la peinture dont vous m’aviez fait don à Ciudad Trujillo. » Dans cette même lettre du 23 juin 1948, Breton associe spontanément Granell au mouvement surréaliste : « L’activité de nos amis est très grande et l’on regrette que vous ne puissiez vous joindre aux nombreuses assemblées que nous formons – près d’une quarantaine le lundi au café de la Place Blanche, le jeudi aux 2 Magots. » Et il ajoute : « Il est nécessaire que vous collaboriez au n° 4 de Néon. » Les surréalistes, par leur nombre et l’effervescence de leur activité, semblent renouer avec la période héroïque des années vingt. Breton précise en effet à Granell : « Vont paraître très prochainement : 1° un recueil de tous les tracts surréalistes 1924-1940, 2° un petit ouvrage de moi La Lampe dans l’Horloge, 3° une brochure collective destinée à répondre à certaines tentatives de confiscation de la pensée surréaliste du côté religieux (!)[7] ». sin tituloIl faudra attendre longtemps avant que le projet de tracts surréalistes ne voie le jour[8]. En tout cas, la demande de collaboration faite par Breton à Granell se concrétise vite. Dans Néon n° 4 de novembre 1948, un grand dessin de Granell prend place au milieu de « Trente ans après », un nouveau texte d’André Breton consacré aux Lettres de guerre de Jacques Vaché.


Le cauchemar du Guatemala

Dans le dossier conservé par Granell de sa correspondance avec Breton, qui comprend aussi des copies en espagnol ou en français des lettres expédiées, la première lettre de Granell à Breton, qui est de retour à Paris, et qu’on pourrait dater de juillet-août 1946, insiste sur l’aggravation de la censure sous le régime de Trujillo, la missive en question étant d’ailleurs acheminée par Puerto Rico. Granell remercie encore Breton pour les deux lettres de recommandation auprès de Juan Larrea et Benjamin Péret qu’il avait eu la gentillesse d’écrire lors de leur seconde rencontre. Mais, avant tout, il fait état de sa décision de quitter le pays pour le Mexique dès la fin de l’année. En réalité, c’est au Guatemala que Granell et sa famille iront se fixer en octobre 1946[9]. Dès le 13 novembre, Granell sollicite une préface de Péret qui se trouve toujours à Mexico. Deux jours après, l’auteur du Déshonneur des poètes lui donne son accord en lui réclamant une dizaine de photos. Le 28 novembre, Péret envoie « quelques lignes » en français à Granell, lui demandant de les traduire et lui proposant même de contacter deux galeries pour une exposition à Mexico. Le préfacier affirme qu’il ne reste plus à Granell, qui a parcouru pour son compte la voie ouverte par Picasso, qu’à s’en remettre à seule intuition et à se livrer à ses propres forces. Durant deux ans, tout semble sourire au peintre espagnol dans son nouveau pays d’exil. Granell se réjouit, dans la lettre à Breton du 18 juin 1948, de ses contacts avec de jeunes artistes – deux sculpteurs et deux peintres avec lesquels il envisage la sortie d’une revue qui ne manquerait pas de répercuter l’activité surréaliste internationale. Il informe Breton avoir publié des articles sur Arcane 17 et avoir traduit sa préface au catalogue Jacques Hérold[10]. Toutefois, tout se gâtera au printemps de 1949. Granell sera alors en butte à des persécutions politiques de la part des communistes staliniens, mettant sa vie et celle de sa famille en danger. Dans la lettre à Breton du 7 mai 1949, dont le texte en français n’est pas facile à suivre, Granell essaie d’expliquer que n’apportant pas son soutien à un important congrès d’intellectuels, il a été, de façon soudaine et depuis deux mois, l’objet d’agressions et d’intimidations s’accompagnant de perte de ressources financières. La lâcheté jouant, le cercle de ses amis s’est considérablement restreint. Seul le poète Eunice Odio, natif du Costa-Rica, s’est exprimé par écrit en sa faveur. l'heure d'eteLa réponse de Breton du 16 mai 1949 à cette lettre et à deux télégrammes alarmistes témoigne que les surréalistes sont à Paris sur le qui-vive, prêts à secourir par tous les moyens leur ami Granell : « Mais ne doutez surtout pas que je suis profondément votre ami et que, vous sachant en péril et en proie aux persécutions dont il s’agit, j’alerterais sans perdre un instant non seulement nos amis surréalistes mais encore tous les écrivains et artistes libres d’ici qui peuvent jouir de quelque crédit à l’étranger (Camus, Sartre, etc.). »
Tout en précisant par la suite qu’il avait beaucoup aimé les dessins envoyés par Granell et « la très belle couverture de Viento Nuevo », Breton est amené à faire un parallèle entre la situation dramatique du peintre au Guatemala et ses anciens déboires durant les années trente avec les staliniens au sein des associations d’écrivains ou d’artistes révolutionnaires : « Je ne voyais d’ailleurs pas sans inquiétude, à travers les publications que vous me faisiez tenir, le tour que prenait l’activité politique de là-bas. Dès que je rencontre ces initiales A. E. A. R., A. A. E. R., je suis payé par expérience pour me méfier à l’extrême[11]. »
Dans sa missive à Granell du 3 octobre 1949, Breton confesse qu’il vient d’être délivré « d’une des pires angoisses » jamais éprouvées, en apprenant que le peintre et les siens, ayant été contraints de fuir le Guatemala, étaient arrivés sains et saufs à Puerto Rico. Revenant sur l’alerte du mois de mai, il explique comment il s’est trouvé « les mains liés » par la crainte, à la moindre maladresse, de compromettre Granell davantage : « Que de fois depuis lors Benjamin Péret et moi nous nous sommes entretenus de vous, nous demandant que faire d’efficace pour vous porter secours sans risquer de vous nuire. Mais les deux télégrammes de Guatemala étaient si obscurs que nous ne trouvions jamais aucun moyen, en y répondant, de ne pas vous porter le plus grand préjudice. Ne croyez aucunement à de l’inaction, à de l’inertie en l’occurrence : rien ne serait moins vrai et je puis dire que nous avons eu de vous un souci quotidien. » Breton qui s’est abstenu, dans ces circonstances dramatiques,  d’écrire la préface promise à Granell pour une exposition, incite son correspondant à lui adresser des dessins pour l’Almanach surréaliste du demi-siècle. Effectivement, deux somptueux dessins de Granell, où le mimétisme animal le dispute au mimétisme végétal, illustreront, dans cette importante publication collective, « Femme-forêt », un poème de François Valorbe.

sin tituloLa correspondance Breton/Granell s’interrompt en 1950 et 1951. Mais, en février 1952, et surtout le 5 avril 1952, Eugenio Granell, depuis l’île de Puerto Rico, refait surface de manière éclatante en accompagnant cette dernière lettre de l’exemplaire n° 1 de Isla cofre mítico, qui s’ouvre sur la dédicace imprimée « A Élisa y André Breton, en recuerdo de haberlos conocido en una isla », complétée d’un envoi autographe daté du 1er février 1952, « y con entrañable admiración y amistad »[12]. Isla cofre mítico de E. F. Granell, comprenant des dessins de l’auteur, est un texte très personnel qui essaie d’élever l’île à la dimension d’un mythe, à l’instar de Martinique charmeuse de serpents d’André Breton, véritable montage poétique incluant des propos et des illustrations d’André Masson. Outre Breton et Masson, abondamment cités et commentés, sont invoqués Mabille, Césaire, Unamuno, Péret, Napoléon, Gracián, Colomb, Hegel, Lam, le peintre haïtien Hyppolite, Alfonso Reyes, Maximilen, Malcolm de Chazal, Apollinaire et beaucoup d’autres encore. Pour Granell, si l’île a été célébrée dans d’anciens mythes, elle est au cœur à présent d’un nouveau mythe en formation. L’insulaire en exil Granell remarque que Breton lui-même a voyagé d’île en île – Tenerife, Martinique et Bonaventure. On pourrait ajouter à ces pérégrinations le graphisme « ÎLE » s’étalant sur une page de Clair de terre, l’apparition de l’Île du Sable dans les dernières lignes de Nadja ou encore le saut que fait Breton en Corse en mars 1928 pour tenter d’arracher Suzanne Muzard à Emmanuel Berl.

composition zoomorficalettre du 5 avril 1952 est une très longue lettre écrite en espagnol, à charge pour Élisa Breton d’en faire la traduction pour André[13]. Heureusement, à cette date, le cauchemar du Guatemala s’éloigne. Mais des images obsédantes ressurgissent : « cuando nos desprendimos de aquella tierra en el avión, mi mujer y yo nos cominucamos con la mirada, en silencio, el mismo pensamiento: creíamos salir de la tumba. » Granell rappelle que le leader étudiant, Alavarado Rubio, un de ses meilleurs amis, brutalisé et traqué par des hommes armés dans sa propre maison, dut se cacher puis s’enfuir au Mexique. Un autre ami, Monteforte Toledo, président de la Chambre des députés, qui réussit à prévenir Granell juste à temps qu’il devait surtout ne pas rentrer à la maison car il serait en danger de mort, dut fuir lui aussi au Mexique. Le poète Eunice Odio, qui envoya un télégramme à Breton et fut l’une des trois seules personnes à oser prendre publiquement la défense de Granell, dut quitter le Guatemala. Mais le pire arriva à l’un de ses amis les plus chers, le talentueux et jeune peintre Alzamora Méndez : « los asesinaron bárbaramente, destrozándole el cráneo a balazos. Nunca nos abandonará este horrible recuerdo al recordar niestro paso por Guatamela. Y los recordamos cada día. » Le point de départ de tout cela fut l’énorme Congrès de la Paix d’Amérique centrale, incluant des « delagaciones raciales, nacionales, indigenistas de todas clases y puntos », que les communistes préparaient avec « grand fracas » et « grand mensonge », un Congrès auquel Granell manifesta une opposition critique et fatale.

La peinture à l’estomac

sin tituloAprès le cauchemar du Guatemala, Granell dresse un tableau de Puerto Rico. Dans cette petite île surpeuplée, au niveau de vie élevé, la société de consommation américaine impose ses mœurs et ses normes nouvelles : circulation automobile rapide, absorption astronomique de glaces, de lait ou de whisky, divorces à répétition, juke-box et base-ball, triomphe de la publicité et de la savonnette, sourire et superbe dentition, beuverie du samedi entre amis. Les appareils électriques sont partout : « para licuar carne, para hacer jugos, para oir discos, para planchar la ropa, para lavarla, para ensuciarla, para remendarla, para estropearla, para plancharla, para ponerla, para quitarla ; aparatos para limpiarse el calzado, para afeitarse, para llamar el perro, para regar el jardín, para cortar la yerba, para cocinar, para ver, para leer. » Mais tous ces heureux gagnants en dollars n’entendent, ne voient et ne lisent ni plus ni moins que leurs appareils électriques. Des avions vantent le lait dans le ciel, des camions diffusent par haut-parleur des conseils pour prendre un bain ou se raser. Tel un sociologue phénoménologue, Granell en vient a évoquer une gamme infinie de bruits possibles : tondeuse, téléphone, lave-linge, réfrigérateur, balayeuse, radio, gramophone, automobile, etc., à quoi il convient d’ajouter le bruit de crécelle du dernier yo-yo à la mode.

sin tituloLe 11 avril 1952, Breton répond à Granell : « Ma femme m’a traduit mot à mot votre lettre si généreuse, si émouvante. Il est vrai que je suis impardonnablement en retard avec vous. Isla cofre mítico m’a grandement réjoui le cœur, comment en douteriez-vous ? » Revenant sur la relative impuissance des surréalistes face au danger mortel couru par Granell au Guatemala, il en tire cette observation générale : « Il est affreux de penser que notre solidarité à travers le monde qui, dans son élan, est sans limites, se heurte, dès qu’elle doit à tout prix se traduire pratiquement, à des obstacles presque infranchissables. » Puis Breton interroge Granell sur sa peinture, en affirmant que les derniers dessins qu’il lui avait adressés étaient « très beaux » et qu’il les regardait souvent. Il note aussi que la peinture dite abstraite a envahi les galeries et les revues d’art, à Paris comme à New York, et que « Toyen ne parvient même pas à exposer ». Évoquant ses entretiens radiophoniques actuels, Breton annonce leur prochaine publication avec un certain nombre d’interviews, dont celui réalisé par Granell[14]. À cette lettre  très amicale du 11 avril, Granell répond à Breton le 28 avril en s’épanchant, de façon un peu  désabusée, sur le comportement humain machinal ou sportif. Dans le domaine de l’art ou de la peinture, la main, les doigts et l’estomac prennent le dessus sur le cerveau et l’imagination. Empruntant à Julien Gracq l’expression littérature à l’estomac, Granell évoque, à travers les manifestations de la peinture dite abstraite, l’apparition d’une « peinture à l’estomac » : « hay un rico actor de Hollywood que exhibe así la plaqua [radioscopica] de su proprio operación del estómago. » Une peinture à l’estomac, dont la prochaine étape serait la « peinture comestible ». La peinture est devenue un simulacre de la pâture : « La tela es el remedo del campo de pasto. » Granell voit même dans le succès de Guernica de Picasso le fait que le tableau soit lié à une étable et que les doigts et les mains aient pris une dimension exceptionnelle dans cette toile. La peinture à l’estomac est hantée par la digestion et l’alimentation, une obsession provoquée par une « insécurité alimentaire ».

Granell rappelle à Breton qu’en janvier, à New York, il a pu rendre visite à Duchamp et à Lam. A présent, dans son atelier, s’accumulent des dessins, des gouaches et des huiles. Sa maison, proche de l’Université « da a un campo tropical cubierto de bambúes y palmeras y de millones de insectos. » Curieusement, l’évocation du paysage et les impressions ressenties par Granell sont assez proches de ce que l’on découvre dans les œuvres du peintre de cette époque, notamment dans ses gouaches : « El viento bate contínuamente contra las persianas de mi pequeño estudio. Esto me produce la impresión, mientras trabajo, de hallarme en plena y extraña navegación aérea. Como si surcase un espacio en el cual se agitasen remolinos de seres que fuesen ya de un mundo desconocido, participando a la vez de las propiedades de cada reino. » Ainsi se mêlent inextricablement oiseaux et minéraux, feuilles et insectes, ainsi s’anime et se déploie toute une symphonie végétale : « Como si se tratase de avespiedras, de hojasinsectos, o de raros instrumentos vegetales animados. »trofeos de las islas

La peinture de Granell
Un traité des coloris selon Granell pourrait commencer par cette phrase de son contemporain Malcolm de Chazal : « La couleur est le chausse-pied de l’œil, entre les formes des choses ». Ceci nous renvoie à l’ouverture du livre d’André Breton, Le Surréalisme et la Peinture (1928), où l’on est saisi d’emblée par le tranchant de la première phrase : « L’œil existe à l’état sauvage ». Quelle est cette sauvagerie ? Quelques lignes plus bas, Breton parle du « pouvoir magique de la figuration ». Il s’indigne qu’il ait d’abord servi à l’imitation servile de la réalité. En soulignant la « magie » de la figuration, il entraîne la peinture à inventer, comme la poésie, une langue dans la langue. Surtout, il y reprécise le caractère mental du « modèle intérieur » que la peinture doit figurer : « La peinture, libérée du souci de reproduire essentiellement des formes prises dans le monde extérieur, tire à son tour parti du seul élément extérieur dont aucun art ne peut se passer, à savoir la représentation intérieure de l’image présente à l’esprit ». La peinture s’empare de la vue avant même d’accorder un sens aux choses en leur donnant une forme identifiable. Elle saisit les yeux par son pouvoir de rayonnement. Bien des tableaux d’Eugenio Granell racontent l’histoire d’un tel éblouissement. Ils s’organisent autour de la vue que le peintre, souvent, place au plus près de l’aveuglement. Comme si les contraires devaient être pensés et vécus ensemble. A Saint-Domingue, où il n’y a plus un seul Indien depuis le XVIe siècle, il peint de 1944 à 1946 une série de Têtes d’indiens, en partie inspirées par les libertés qu’a prises Picasso à l’égard du visage humain, mais où les personnages représentés sont tous affligés d’un évident strabisme. Et ce ne sera qu’après son arrivée en octobre 1946 au Guatemala qu’il découvrira, dans un ouvrage de Sylvanus C. Morley sur la civilisation maya, le sens de cette particularité : dans la société maya, loucher était considéré comme quelque chose de précieux; aussi les mères suspendaient-elles de petites boules de résine entre les yeux de leurs enfants, ce qui conduisait ceux-ci à loucher… D’autres gouaches et dessins représentent des yeux qui se mêlent à la végétation : Les yeux de la nuit. Dans les confins de la vision, cette image est là qui nous guette et, nous-même, nous voici dans l’attente. L’œil prend plaisir à être envahi. Les impulsions du voir traversent réellement le corps qui peint et les yeux qui regardent. Ce principe de causalité irrationnel est en fait un principe de mutation incessante entre l’homme et l’animal, le végétal et la machine, etc. D’où ces « spécimens d’une faune à venir » que Benjamin Péret identifiait comme un « coq-cadran solaire » ou une « poule-machine à coudre ». Pour Édouard Jaguer, dans un texte intitulé Nouvelles salves pour Granell, « la réalité ou la non réalité de l’épisode capté par le tableau n’ont qu’une importance accessoire, car l’histoire et la légende s’y rejoignent, enveloppées dans la même image porteuse. Granell est un de ceux qui ont le mieux compris cette convergence du réel et de l’imaginaire, de l’histoire et de la légende ; et mieux que beaucoup d’autres il s’est ingénié sans relâche à trouver la plus belle parure pour donner à voir cette convergence, cette affinité, au spectateur ». Parmi bien d’autres préoccupations d’Eugenio Granell, celle du vêtement n’est pas négligeable : tissus colorés, dentelles transparentes, parures aussi somptueuses que cocasses. Ce sont en fait des anti-uniformes. Un des effets de ses tableaux consiste à réveiller en nous l’intérêt pour les étoffes, à rendre plus évidente la complexité des gestes qu’elles provoquent, des élégances qu’elles produisent. Parmi les tissus, il y a aussi les rideaux. Ce qui explique qu’on ait souvent rapporté la peinture de Granell au théâtre. Mais dans ses peintures, les rideaux ne partagent pas l’espace entre l’intérieur et l’extérieur, le spectacle et la vie. Les rideaux se lèvent pour laisser voir le minuscule théâtre des gestes intimes.

nacimiento de la selva en las islasDe 1956 à 1962, les œuvres de Granell sont apparemment plus « abstraites » que dans les années précédentes ou suivantes. En 1938, André Breton justifiait ainsi la peinture non-figurative, du point de vue surréaliste : « Il peut être, il s’est à notre époque avéré tentant pour l’œil de se reporter à ce stade théorique de la création (…) où les papillons formaient un seul ruban encore à découper, où les oiseaux décrivaient tous ensemble une même spirale de musique …» C’était à propos de Paalen, autre prodigieux inventeur de formes (et de ses tableaux de la période « cycladique »), mais la formule ingénieuse de Breton convient tout aussi bien à Granell. Là, dans tous les éléments que la mémoire convoque, on retrouve les fragiles échafaudages de nos transpositions imagées, une sorte de rêverie où se rassemblent et se fondent maints tableaux différents. Et comme la considération de l’immédiat demeure la plus fructueuse qui soit, on pourra aisément imaginer que la planète Granell est habitée de vertiges et d’énigmes, de failles et de catastrophes, parfois aussi de délices qui nous aident à penser notre propre destin, à retrouver on  ne sait quelle densité des choses familières. Théâtre en vérité que ce monde, théâtre d’ombres où l’on attend du tout puissant régisseur des lieux qu’il souffle désormais au volcan la conviction de ses propres fumées. Car c’est bien un monde étonnamment cristallisé que présentent les tableaux de Granell, préservant dans ses innombrables facettes et dans les prismes qui le composent cette lumière infuse que l’on est tenté d’attribuer au déploiement des points-feux de la matière en fusion. Le réel s’y résume aux mouvements simples du brasier, à ses nervures et ses graphismes noueux. Claude Tarnaud a écrit à leur propos que « nous nous retrouvons (ici) de plain-pied dans un monde tumultueux où les ombres sont imperceptiblement doubles et dégagent un faible parfum métallique comme pendant les éclipses de soleil ». À cet égard, Benjamin Péret, qui n’a pu connaître ces tableaux, se montrait dès 1946 bon prophète de l’évolution future de Granell en constatant que « tous les tableaux qui constituent sa production récente parlent d’Amérique comme les sources thermales parlent de volcan ». Feu, sourire de l’indivisible entre ciel et terre. Ici, tout tremble, tout jaillit. L’île, coffret mythique, livrée à l’appétit du feu, aux miroitements du jour, aux caresses des ombres. Livrée aux souvenirs  d’incandescences et de combustions. Tels sont les jeux de l’érosion sur la planète Granell, dans ce monde du recommencement du monde. Ils multiplient les cavités ciselées et tranchantes. Faudrait-il alors parler, à propos de Granell, de peinture poétique ou de poésie peinte ? Peu importe. C’est en tous cas ce qu’il affirme (par exemple répondant dans la revue Syntaxis à une question de Juan Manuel Bonet) : « Para mi es la misma cosa (escribir y pintar) ». De manière allusive, il précise ainsi son projet, nous obligeant à penser ensemble techniques, formes et fables. Car il met les techniques au service de l’invention des formes. Et surtout, il aime les mots. Non seulement parce qu’il est aussi écrivain, et qu’il a publié de nombreux livres. Il aime les mots à travers sa peinture. Les mots sont appelés par les images. Celles-ci marquent en creux la place des paroles qui doivent, en toute nécessité, venir les habiter.

sin tituloCertains se souviendront d’une nouvelle de Jorge Luis Borges, Tlön Ugbar Orbis Tertius : un groupe de gens invente un monde et le décrit dans une Encyclopédie. Peu à peu des objets et des coutumes issus de ce monde pénètre dans notre univers. Peu à peu, prédit le héros de la nouvelle, « l’Anglais, le Français et l’Espagnol lui-même disparaîtront de la planète. Le monde sera Tlön ». Peut-être notre monde deviendra-t-il aussi de plus en plus à l’image de la peinture de Granell, avec ses îlots envoûtés de l’intérieur, trop petits sans doute pour être nommés, avec ses turbulences volcaniques, avec ses flottements et ses ambiguïtés.

Granell, Péret et Breton

À l’automne de 1952, Eugenio Granell a deux interlocuteurs parmi les surréalistes à Paris, André Breton et Benjamin Péret. Après avoir reçu un exemplaire des Entretiens, Granell écrit à Breton que cette lecture l’a beaucoup éclairé et lui confie qu’il se réjouit de l’avoir connu et d’être devenu son ami. Il lui demande aussi de l’autoriser à lui envoyer quelques toiles. dia de la transformacion de las hojas de los arboles en cartas de juegoLe 24 novembre 1952, c’est à Péret qu’il écrit. Ce dernier répond assez longuement le 12 décembre et suggère à Granell, à la suite de l’ouverture de la galerie À l’étoile scellée, de faire parvenir à Breton trois ou quatre tableaux de petit format ou des gouaches. Il annonce qu’à partir de janvier devrait paraître la revue La Mante surréaliste et trouve très bonne l’idée de publier à Puerto Rico la revue Isla. La feuille Medium n° 2 de décembre 1952 mentionne justement la revue Isla sous le titre « Niveau de feu » : « Notre ami, E. F. Granell s’apprête à publier, à Puerto Rico, six fois par an, une revue Isla, dans laquelle il se propose de combattre à la fois l’envahissement de l’art abstrait régressant vers l’indifférenciation qualitative et la peinture étroitement représentative, dont l’aboutissement est l’anecdote vulgaire. Notre soutien actif lui est acquis. » Granell apprend, par la lettre de Péret du 24 janvier 1953, que son cousin Jaime Fernandez a été arrêté en Espagne. Plus tard, Breton, dans sa lettre du 18 octobre 1953, dresse un tableau sombre de l’art à Paris. Tout se monnayerait à présent dans les galeries. Alors qu’il avait l’intention, au tout début, d’inviter Granell à exposer à L’Étoile scellée, il est dans l’impossibilité de le faire aujourd’hui. Toutefois, en annonçant la parution du premier numéro de Medium, nouvelle série, dont le principe est d’être illustré par un seul peintre, en l’occurrence Simon Hantaï, Breton laisse entendre qu’un numéro à venir sera attribué à Granell : « J’espère qu’il ne se fera pas trop attendre le n° E. F. Granell. »

En 1954, la jonction entre Granell, Breton et Péret se réalise à Paris : « Notre grand ami le peintre et écrivain E. F. Granell qui, en toute qualification, de 1940 à ce jour, porta le message surréaliste en République dominicaine, au Guatemala et à Porto Rico, est attendu en mai à Paris. » Tel est l’ « Avis » publié dans Medium n° 3 de mai 1954, numéro illustré par Svanberg. Une exposition Granell est enfin organisée à L’Étoile scellée du 25 juin au 12 juillet 1954. Benjamin Péret, qui préface la catalogue, découvre chez l’Espagnol des Caraïbes divers « spécimens d’une faune à venir », tels un « coq-cadran solaire » ou une « poule-machine à coudre »[15]. C’est au cours de ce séjour parisien que Granell multipliera les rencontres avec Breton ou Péret et assistera à plusieurs assemblées au café surréaliste.

Les relations entre Péret et Granell sont de plus en plus cordiales et familières. Cela est sensible dans la lettre du 30 août 1954 que Péret adresse à Granell, juste après avoir fait une incursion en Espagne : « J’ai vu tes parents, ainsi que ta sœur et ton beau-frère. Ton père semble fatigué, mais ta mère jouit d’une excellente santé. Ils habitent un appartement tout petit, un peu inconfortable. J’ai tenté de voir ton cousin [Jaime Fernandez] et Munio [Grandizo Munis], mais la direction de la prison me l’ayant interdit, je n’ai pu que leur laisser de l’argent. » Après avoir détaillé ses impressions sur la situation en Espagne franquiste, Péret achève ainsi sa lettre : « J’espère que tu as fait un bon voyage de retour, et que malgré tout tu n’as pas été trop déçu par ton séjour à Paris. / Une grande embrassade de ton ami Benjamin Péret[16]. » De l’été 1955 au printemps 1956, les échanges entre Granell et Péret, qui vit durant  cette période au Brésil, porte en particulier sur une invitation à l’Université de Puerto Rico. Péret joint d’ailleurs à sa lettre du 29 novembre 1955 un plan succinct des ses conférences intitulé «  Trajectoire de la poésie »[17]. Mais le projet n’aboutira pas en raison de la difficulté à obtenir un visa pour les États-Unis[18]. Il est à noter que le 15 novembre 1957, dans sa dernière lettre à Granell, Péret a joint, écrite par André Breton, une lettre d’introduction de Granell auprès de Meyer Shapiro à New York.

Après son séjour à Paris, Granell retourne à Puerto Rico via New York. En pleines vacances estivales, il ne parvient pas à joindre Marcel Duchamp, auquel il voudrait remettre une lettre de recommandation d’André Breton. Ce sont les tribulations de cette lettre que Granell rapporte à Breton depuis Rio Piedras, le 28 octobre 1954. Le peintre signale aussi, comme antécédent aux Grands Transparents, El Ente Dilucidado, un livre de 1676 d’Antonio de Fuente de la Peña, « une étude scientifique sur la possibilité de l’existence d’animaux invisibles ou transparents ». De plus, il procure à Breton la photo d’un dessin préparatoire de La Mélancolie de Dürer. En janvier 1955, Medium n° 4 fait état des réponses à l’enquête de Charles Estienne et José Pierre sur la « Situation de la peinture en 1954 ». Granell, convaincu que les peintres surréalistes de 1954 ne s’opposent pas à ceux de 1924, se lance dans une profession de foi surréaliste : « Je ne connais pas de peinture actuelle plus jeune et plus actuelle que la peinture surréaliste. Je ne sais ni comment, ni pourquoi l’on pourrait séparer la “peinture surréaliste” de la “condition surréaliste”. »

C’est de New York, où il prend de petites vacances, que Granell écrit le 8 août 1956 à Breton. Cette fois-ci, il a pu être reçu par Marcel Duchamp. Il avoue se sentir très bien dans « cette monstrueuse cité ». Tout lui paraît trop petit à Puerto Rico. Et il va jusqu’à s’exclamer : « assez de tropicalisme ! ». Bien plus tard, dans une lettre du 4 janvier 1960, Granell qui est désormais installé à New York, où il vit fort modestement, sollicite Breton pour la préface d’une exposition en préparation[19]. Cet appel lancé à l’ami Breton ne sera pas suivi d’effet. Cependant, Granell aura pour Breton jusqu’à la fin de sa vie un attachement infini. On pourrait situer le déclic de ce sentiment puissant dans les propos tenus par André Breton au journaliste Jean Duché dans Le Littéraire du 5 octobre 1946 : « c’est sur le continent américain que de loin la peinture me semble avoir lancé ses plus belles gerbes lumineuses à retardement : Ernst, Tanguy, Matta, Donati, Gorky à New York ; Lam à Cuba ; Granell en République dominicaine ; Francès, Carrington, Remedios au Mexique ; Arenas, Caceres au Chili[20]. » Ainsi, quelques mois seulement après avoir admiré les tableaux et les dessins de Granell à Ciudad Trujillo, Breton avait-il décidé d’inclure le peintre espagnol et le futur auteur de Isla cofre mítico dans la brillante liste des peintres surréalistes d’Amérique.

Emmanuel Guigon et Georges Sebbag

Notes

[1] Benjamin Péret, depuis Mexico, commence ainsi la lettre à Eugenio Granell du 9 août 1942 : « Cher camarade, / Je pense que nous nous sommes connus à Madrid, au début de la guerre, en 1936. De toute manière, Julian Gorkin et Victor Serge m’ont dit de m’adresser à toi, et, d’autre part, Manuel Martinez me connaît. » (Benjamin Péret, Œuvres complètes, tome 7, Paris, Librairie José Corti, 1995, p. 366).

[2] LL. [E. F. Granell] « El surrealista Breton », La Nación, 24 mai 1943.

[3] Il s’agit de La Poesía Sorprendida, dont le premier numéro date d’octobre 1943.  Eugenio Granell en a dessiné la vignette de couverture. « Poesía con el hombre universal », sous-titre de la revue, donne une idée du contenu de La Poesía Sorprendida, à laquelle collaborent Alberto Baeza Flores, Franklin Mieses Burgos, Mariano Lebron Saviñon et Freddy Gaton Arce.

[4] André Breton, né le 19 février 1896, a choisi, au début des années trente, le 18 février 1896 comme jour de naissance. Voir Georges Sebbag, L’Imprononçable jour de ma naissance 17ndré 13reton, Paris, Jean-Michel Place, 1988.

[5] Voici ce que Granell disait, depuis le Guatemala, sur l’envoi de Cabeza de Indio dans sa lettre à Breton du 14 décembre 1946 : « Par des amis qui sont allés aux États-Unis, il y a environ trois ou quatre mois, je vous ai fait envoyer le tableau Cabeza de Indio, lequel on vous avait promis pendant votre séjour à la République dominicaine. »

[6]  Breton fait allusion à deux lettres expédiées à Granell au Guatemala et qui se seraient perdues. Il fait une mise au point à ce sujet dès le début de la lettre à Granell du 23 juin 1948 : « Mon cher Ami, / votre lettre de ce matin me désole, d’abord parce que je suis sûr de vous avoir écrit deux fois depuis l’exposition. Deux fois, bien sûr, ce n’est pas assez mais pourquoi ces lettres ne vous sont-elles pas parvenues et qui dit que celle-ci aura meilleur sort ? »

[7] La lettre de Breton à Granell étant du 23 juin 1948, notons que l’achevé d’imprimer de La Lampe dans l’horloge (premier tirage des éditions Robert Marin refusé par Breton pour des défauts techniques) est du 15 juin 1948 et que la brochure collective À la niche les glapisseurs de dieu ! (Éditions Surréalistes) contient une déclaration signée par cinquante-deux surréalistes et datée du 14 juin 1948.

[8] José Pierre publiera en 1980 puis en 1982, chez Éric Losfeld, Tracts surréalistes et déclarations collectives, tome 1, 1922-1939, et tome 2, 1940-1969. José Pierre ne semble pas avoir eu connaissance de ce projet de tracts surréalistes envisagé par Breton et ses amis en 1948.

[9] L’arrivée de Granell peut être déduite de ce passage de la lettre à Breton du 14 décembre 1946 : « Il y a presque deux mois que nous sommes au Guatemala, où j’ai ouvert une exposition le 10 courant, pour laquelle l’ami Benjamin Péret a bien voulu m’écrire la préface du catalogue que je fais accompagner à cette lettre. »

[10] André Breton, [Jacques Hérold], in Jacques Hérold, Paris, Cahiers d’Art, 1947 (16 octobre).

[11] A. E. A. R. = Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires ;  A. A. E. R. = Association des Artistes et des Écrivains Révolutionnaires

[12] E. F Granell, Isla cofre mítico, dibujos del autor, Isla de Puerto Rico, 1951, editorial Caribe. Ouvrage tiré à 250 exemplaires. Précisions que la lettre de Granell à Breton de février 1952 ne figure pas dans le dossier conservé par Granell.

[13] L’hispanophone Élisa Breton traduit, pour André, les lettres directement écrites par Eugenio Granell en espagnol ou Isla cofre mítico, tandis que la francophone Amparo Granell traduit en français les lettres que son mari envoie à Breton. Dans leur correspondance, Granell et Breton n’oublient jamais de saluer, l’un Madame Breton, l’autre Madame Granell.

[14] En fait, l’entretien avec Granell  (mai 1941) ne sera pas publié. L’interview de Charles-Henri Ford (View, New York, août 1941) ouvre la série d’interviews (1941-1952) venant à la suite des entretiens radiophoniques.

[15] Benjamin Péret, « À la hauteur d’un cri… », préface à l’exposition E. F. Granell, À l’étoile scellée, juin-juillet 1954, in Œuvres complètes, tome 6, Paris, Librairie José Corti, p. 342-343.

[16] Benjamin Péret, Œuvres complètes, tome 5, p. 268-269.

[17] Benjamin Péret, Œuvres complètes, tome 7, p. 432.

[18] Dans la lettre du 18 août 1956, Péret, depuis Saint-Cirq La Popie, paraît furieux de n’avoir pas pu obtenir de visa pour les États-Unis : « il est inutile pour moi de prétendre à un visa pour ce pays de merde. » Surtout, il regrette d’avoir manqué ses retrouvailles avec Granell : « J’ai beaucoup regretté de ne pouvoir te rendre visite à Puerto Rico. J’avais déjà résolu le problème des bagages et même celui du billet d’avion, mais ces imbéciles m’empêchèrent de mener mon plan à bien. Cela aurait été magnifique ! » (Œuvres complètes, tome 7, p. 455).

[19] La lettre en question est datée du 4 janvier 1959. Il s’agit là d’un lapsus pour « 4 janvier 1960 », puisqu’il est question, au début de la lettre, de l’Exposition internationale du surréalisme, autrement dit de l’exposition Éros de décembre 1959 à janvier 1960 à la galerie Daniel Cordier.

[20] Granell a pris vite connaissance de l’entretien de Breton avec Jean Duché dans Le Littéraire d’octobre 1946. Curieusement, à deux reprises, dans « André Breton y America » (diffusé à la radio du Guatemala le 19 novembre 1947, puis publié en 1949, dans la revue Plástica au Guatemala) Granell cite la liste des peintres surréalistes américains en omettant son nom. Probablement, un signe de sa grande modestie.

 

Références

« Eugenio Granell & André Breton » (en coll. avec E. Guigon), en français et traduit en espagnol, in catalogue Los Granell de André Breton / Sueños de amistad, Galería Guillermo de Osma, Madrid, 2010.

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