Marc Pierret Photo-finish

 

Marc Pierret, Conte à rebours, dessins de Pierre Dunoyer, postface de Guillaume Basquin, éditions Tinbad, 2017.

 

Marc Pierret avait publié en 1968 son premier roman Donnant donnant chez Christian Bourgois. Il y avait déjà imprimé sa marque de fabrique, celle de l’identité instable ou volatile du narrateur. Dans une construction en abyme, Marcel Perret, un écrivain novice brodant sur un manuscrit de polar trouvé à la station de métro Anvers le disputait autant au voyou Marco Pieretti qu’à l’agent littéraire Marc Piérat pressé de faire adapter au cinéma Les Environs d’Anvers, le premier roman d’une jeune femme.

Marc Pierret est mort le 14 avril 2017, au moment où paraissait son roman Conte à rebours, un ouvrage composé de trois parties, publié aux éditions Tinbad.

Mon ami Marc avait conscience que le compte à  rebours de sa propre existence coïncidait avec celui du lancement de sa fusée à trois étages destinée à des lecteurs qu’il n’hésitait pas à aller chercher dans les plus hautes couches de la stratosphère. On pourrait commencer par évoquer l’un de ces épisodes cauchemardesques traversés par le narrateur Charles Ducreu. Alors qu’il déambule « dans les ruines des ruines de Palmyre », il est arrêté par les sbires de l’État islamique. Soupçonné d’appartenir à une secte cathare, il est alors carbonisé par les djihadistes. Ce qu’il reste du bonhomme est ainsi rapporté : « Mes cendres, recueillies dans une boîte de dattes, sont vendues à un trafiquant turc qui fera suivre. Cérémonie au crématorium du cimetière de Montparnasse. »

Toute la première partie est beaucoup plus enjouée. Elle nous renvoie, du côté de la station balnéaire de Lacanau, à une jeune et talentueuse pâtissière, qui est aussi une merveilleuse conteuse digne de Charles Perrault. À vrai dire, cette fois-ci le récit est conduit par un médecin dermatologue fort intrigué par cette conteuse experte en tarte aux figues venue le consulter en raison d’un herpès mal placé. On apprend que la petite pâtissière, alors qu’elle était chargée de les distraire, se trouva fort dépourvue devant les enfants délurés du vicomte de Meuhan. Ayant pris la poudre d’escampette, elle se réfugia au bord d’un étang, au fond du parc du château. Prise de panique quand elle s’aperçut que son visage ne se mirait pas dans l’eau, elle perdit pied et se métamorphosa en araignée. Nul besoin de raconter la suite. Il suffit de savoir que deux genres s’y mêlent, celui du conte de fées et celui du procès-verbal digne d’un anthropologue.

Dans la deuxième et la troisième partie, on plonge dans les coulisses de l’écriture des narrateurs qui se disputent le roman et surtout, comme après le récit d’un rêve, une seule exigence s’impose : emprunter mille chemins de traverse afin de trouver la pépite d’un mot, la source d’une phrase. Pierret excelle dans le tressage des souvenirs et des associations. Il ne faut pas oublier qu’il s’est allongé des années durant sur le divan de l’analyse. Dès lors le « divan romancier » n’a cessé d’alimenter la « plume épatante » de tous ses romans. En intitulant le dernier, paru de son vivant, Conte à rebours, Pierret s’est mis à égrener et à visionner les rounds de son éternel combat de boxe avec ses doubles : « Je suis un boxeur qui danse avec son ombre devant un miroir mural. J’esquisse un direct du gauche pour envoyer ma droite dans le vide, et les colombes de pierre battent des ailes sur les tombes… ».

Marc Pierret, amoureux de cinéma, voit les colombes de granit battre encore et toujours des ailes en surplomb dans le ciel.

Georges Sebbag

 

Références

« Marc Pierret Photo-finish », Art press, n° 446, juillet-août 2017.