Breton rêve de Domínguez

Couverture  La part du jeu et du rêve

Couverture La part du jeu et du rêve

 

Chronologie  express           

29 mai 1934 : nuit du tournesol, André Breton rencontre Jacqueline Lamba.

14 août 1934 : mariage d’André Breton et de Jacqueline Lamba.

16 août 1934 : dans une lettre à Gala, Éluard parle d’un voyage aux Canaries avec Breton sous la houlette de Domínguez.

Septembre 1934 : Domínguez rencontre Breton et ses amis surréalistes. Projet d’exposition, de conférence, de projection de L’Âge d’or à Tenerife.

Septembre-octobre 1934 : Breton écrit L’Air de l’eau entièrement dédié à Jacqueline. Une suite de quatorze poèmes, dont le treizième a trait aux Canaries.

4 mai-27 mai 1935 : séjour du couple Breton et de Benjamin Péret dans l’île de Tenerife.

15 juin 1936 : Minotaure n° 8 publie trois textes à la suite, « D’une décalcomanie sans objet préconçu (décalcomanie du désir) » de Breton, « Entre chien et loup » de Péret, qui tous deux exaltent la découverte de la décalcomanie par Domínguez et « Le Château étoilé », où Breton relate son voyage à Tenerife.

7 février 1937 : Breton rêve de Domínguez

Hiver 1940-1941 : Domínguez dessine deux cartes du jeu surréaliste de Marseille, deux étoiles noires du rêve, l’as et le mage Freud.

Le poème canarien de L’Air de l’eau

Veut-on s’assurer que l’île de Tenerife et le peintre Óscar Domínguez hantent l’esprit d’André Breton ? Il suffit de consulter Volière, l’anthologie de Breton par Breton illustrée par Yves Tanguy et couvrant la période 1912-1941. En effet, y figurent, au titre de l’année 1934, le poème de L’Air de l’eau évoquant l’île de Tenerife, et pour l’année 1936, la fin du « Château étoilé », à savoir, l’invocation au « Teide admirable » et la phrase ultime : « À flanc d’abîme, construit en pierre philosophale, s’ouvre le château étoilé. » Tandis que le poème anticipe sur le voyage aux Canaries de mai 1935, « Le Château étoilé », qui paraît dans la revue Minotaure de juin 1936 et deviendra la cinquième partie de L’Amour fou, fait justement état du séjour du couple Breton dans l’île volcanique et relate l’ascension inachevée du pic du Teide.

Voyons d’abord le poème de L’Air de l’eau. En 1934, l’imagination de Breton s’envole déjà vers les rivages des Canaries, sous l’impulsion évidente d’Óscar Domínguez :
On[1]me dit que là-bas les plages sont noires
De la lave allée à la mer[2]
Et se déroulent au pied d’un immense pic fumant de neige[3]
Sous un second soleil de serins sauvages
Quel est donc ce pays lointain
Qui semble tirer toute sa lumière de ta vie
Il tremble bien réel à l’ombre de tes cils[4]
Doux à ta carnation comme un linge immatériel
Frais sorti de la malle entrouverte des âges[5]
Derrière toi
Lançant ses derniers feux sombres entre tes jambes[6]
Le sol du paradis perdu
Glace de ténèbres miroir d’amour
Et plus bas vers tes bras qui s’ouvrent
À la preuve par le printemps
D’APRÈS
De l’inexistence du mal[7]
Tout le pommier en fleur de la mer[8]

Dans ce poème de L’Air de l’eau, André Breton s’adresse à Jacqueline Lamba, « la toute-puissante ordonnatrice de la nuit du tournesol ». Nuit du 29 mai 1934 où il découvre l’amour fou. Le poète apostrophe l’« Ondine » qui donne un numéro de danse aquatique dans un music-hall : « lumière de ta vie », « l’ombre de tes cils », « doux à ta carnation », « derrière toi », « entre tes jambes », « tes bras qui s’ouvrent ». En ce qui concerne ses aperçus sur l’île de Tenerife, il va de soi qu’ils proviennent de son nouvel ami Oscar Domínguez : « On me dit que là-bas les plages sont noires / De la lave allée à la mer », « immense pic fumant de neige », « soleil de serins sauvages », « ce pays lointain », « paradis perdu ». Mais le plus étonnant est que Breton se fait cinéaste dans ce poème. Il saisit au premier plan, sur une plage de l’île, Jacqueline nue, dont le corps et la carnation érotique laissent entrevoir au loin la cime enneigée du Teide. Puis la caméra dévale avec la lave noire jusqu’à l’écume printanière de la mer. Plus exactement, le cinéaste veut nous fait sentir que l’apparition soudaine de l’Île Fortunée ou du paradis perdu tient à peu de chose. Elle ne tient qu’à un battement de paupière ou de cils de l’Ondine.

Le chapiteau étoilé

« Le Château étoilé » dépeint, à l’aide d’une riche palette et d’un trait très précis, avec des accents lyriques et des embardées théoriques, la somptueuse visite de l’île volcanique de Tenerife comprenant en particulier une halte dans le jardin botanique de la Orotava et une montée vers le pic du Teide. André Breton revit l’âge d’or dans ce « paysage passionné ». Il s’émerveille des plantes, des arbres, des fruits, des points sublimes, des sites idylliques. Il exalte en même temps la nature et l’amour unique. Parvenu au dernier palier de l’ascension du Teide, Breton découvre une vision sublime, qui, sans solution de continuité, voile et dénude l’objet ou l’être désiré : « Ici l’on commence par ne plus savoir si c’est pour entrer ou pour sortir qu’on entrouvre si fréquemment la porte du cirque des brumes. L’immense tente est merveilleusement rapiécée de jour. […] Pailletant de bleu et d’or les bancs de miel sur lesquels nul être vivant ne semblait devoir prendre place, je vois mille yeux d’enfants braqués sur le haut du pic que nous ne saurons atteindre. On doit être en train d’installer le trapèze. » Breton, avec ses yeux d’enfant, sous l’immense chapiteau des brumes, a le regard fixé sur le trapèze d’où deux amants s’élancent et se rattrapent, d’où se produit, en vertu de la haute voltige du hasard et du désir, l’irrésistible attraction de durées éparses. Ainsi l’ultime formule du « Château étoilé », qui semble de prime abord hermétique ou rapportée, ne l’est plus, si, empruntant avec André et Jacqueline « la porte du cirque des brumes », nous pénétrons en nous-mêmes, sous l’imposant dôme de notre conscience, à l’intérieur du chapiteau étoilé. Le chapiteau de toile surréaliste, volant de Prague à Tenerife, du Château de l’Étoile à six branches au pic étincelant du Teide, c’est en son décor éphémère et providentiel que se consument les feux de l’amour, se déroulent les anecdotes de la vie, se décalquent les rêves, se murmurent les mots.

Remarquons qu’un changement s’opère entre le poème canarien de L’Air de l’eau où l’île volcanique de Tenerife était suspendue aux cils et à la carnation de Jacqueline et la fin du « Château étoilé » où Breton, reprenant à son compte l’identification sadienne au volcan de l’Etna[9], apostrophe le Teide, invoquant dans son oraison la puissance cosmique et la folie mathématique, le tremblement et le rayonnement infini du volcan. Si dans l’écriture du poème l’amour fou et unique suspendait le monde, lors de l’ascension inachevée du Teide il devient tributaire des forces cosmiques de la nature. Tantôt l’amour sublime subjugue la nature, tantôt il s’en remet à la nature sublime, dont il ne peut épuiser le secret de l’infinie multiplicité.

On peut dès lors avancer que la formule finale du voyage aux Canaries, « À flanc d’abîme, construit en pierre philosophale, s’ouvre le château étoilé », mêle trois plans au sens spatial et cinématographique. Premier plan : sur les hauteurs du Teide, les deux amants, « à flanc d’abîme », éprouvent le sentiment sublime de la nature. Deuxième plan avec fondu-enchaîné :

le Château de Prague visité le mois précédent vient se greffer sur le pic du Teide. Troisième plan où l’imaginaire le dispute au cosmique : une durée s’éveille quand « s’ouvre le château étoilé » ; Jacqueline et André pénètrent sous une immense toile pailletée « de bleu et d’or », sous un chapiteau étoilé. Les trois plans, adoptant successivement un point de vue de l’esprit, sont indissociables. Point de vue contemplatif de la sensibilité éprouvant la puissance et le désordre de la nature. Point de vue architectonique de la mémoire ou de la raison dessinant et déplaçant des formes. Point de vue dynamique de l’imagination convoquant le hasard et provoquant une durée.

La découverte de la décalcomanie

L’amour fou et unique possède mille atouts, mille facettes : «  L’amour réciproque, tel que je l’envisage, est un dispositif de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que peut prendre pour moi l’inconnu, l’image fidèle de celle que j’aime, toujours plus surprenante de divination de mon propre désir et plus dorée de vie. » Or ce sentiment du multiple inhérent à l’amour fou et unique, Breton l’a ressenti pleinement lors de l’ascension inachevée du Teide, comme si cet amour ne pouvait trouver sa mesure que dans la démesure de la nature sublime. Nous ferons l’hypothèse, qui pourra paraître curieuse, que cette conjonction de l’amour et de la nature à Tenerife aura un retentissement chez celui-là même qui fut la cause occasionnelle du voyage des trois surréalistes aux Canaries. En effet, le peintre natif de Tenerife Oscar Domínguez, en inventant en 1936 le procédé de décalcomanie sans objet préconçu, opérera à son tour une rencontre inattendue mais cette fois-ci entre l’art et la nature, ou pour mieux dire entre l’art le plus automatique et la nature la plus luxuriante et fantasque.

Il suffit d’ouvrir la revue Minotaure n° 8 de juin 1936 où sont donnés à la suite les textes de Breton et Péret sur la « décalcomanie du désir » et « Le Château étoilé » pour se persuader que les paysages et les images compactes engendrés par le procédé de Domínguez s’appliquent très exactement à la nature sublime de l’île volcanique de Tenerife. Il convient d’ailleurs de noter que Minotaure n° 7 de juin 1935, qui comprenait notamment « La nuit du tournesol » d’André Breton et un article de Roger Caillois sur le mimétisme dans la nature, portait sur « Le côté nocturne de la nature », comme cela était clairement spécifié en tête du numéro. Dès lors on s’aperçoit que le numéro suivant de Minotaure, avec d’une part l’ensemble « D’une décalcomanie sans objet préconçu (décalcomanie du désir) », « Entre chien et loup » et « Le Château étoilé » et d’autre part « Montserrat »[10] fruit de la collaboration d’André Masson et Georges Bataille, aborde cette fois-ci la nature du côté nocturne et diurne ainsi qu’à la naissance du jour.

Benjamin Péret, dans « Entre chien et loup », déroule un conte féerique et cosmique. Il réussit à passer en revue, dans un décor de plage, de nuages, de forêts, de lac noir, de torrent, de rochers et de grottes, une série de dix décalcomanies, dont trois d’André Breton, deux de Domínguez, deux de Marcel Jean, une de Jacqueline Breton, une de Tanguy et une de Georges Hugnet. Il est bon de remarquer que lorsque Péret légende Tanguy un cerf surgit au creux des vagues, qu’à la hauteur d’une décalcomanie de Domínguez un lion rugit sur un rocher aigu et qu’avec Breton intervient un tamanoir « occupé à faire sa toilette ».

Comment Breton présente-t-il la stupéfiante et récente découverte de Domínguez ?

  1. Il use d’une longue énumération, d’une profusion de visions et de paysages naturels, nous replaçant tantôt au Moyen Âge, tantôt dans les poèmes de Maeterlinck ou de Jarry, pour nous faire sentir l’extrême diversité et complexité des émanations de la nature.
  2. Il relève l’impuissance du peintre et même du photographe face au devenir et au délire de la nature. L’art n’imite pas l’insaisissable nature.
  3. Il salue certains lavis de Victor Hugo ainsi que les rochers et les saules de l’illustrateur Arthur Rackham.
  4. Il attribue à la découverte de Domínguez le pouvoir miraculeux de nous révéler les paysages et les secrets de la nature sans jamais la copier.

Cependant, il faut réserver un sort à la phrase « un certain point sublime dans la montagne », qui est l’une des visions figurant dans l’énumération. Cela pour cinq raisons.

  1. Breton a souligné l’expression point sublime.
  2. À la fin de L’Amour fou, dans la lettre à Écusette de Noireuil, il citera justement cette phrase et la commentera[11].
  3. Durant l’été 1931 ou 1932, Breton a fait la merveilleuse découverte du Point Sublime dans les gorges du Verdon[12]. Il a pu ce jour-là découvrir le fameux « point de l’esprit » surmontant les contraires tel que le définissait le Second Manifeste.
  4. En mai 1934, avec « la neige des cimes au soleil levant » du Teide, un autre point sublime s’est offert à lui et à Jacqueline.
  5. Vient enfin le procédé de décalcomanie trouvé par Domínguez, d’où peut jaillir aussi « un certain point sublime dans la montagne ».

Le septième secret de l’art magique surréaliste

Il faut se pencher aussi sur les expressions « pour tous » et « à la portée de tous », également soulignées par l’auteur de « Décalcomanie du désir ». Car en disant que la recette de Domínguez peut être reprise par tout le monde, Breton s’empresse de l’inscrire parmi les « Secrets de l’art magique surréaliste » dévoilés naguère dans le Manifeste du surréalisme. « Secrets de l’art magique surréaliste » insérés dans le texte du Manifeste comme une partie rapportée et d’ailleurs délimités par une frise florale. En 1924, Breton avait levé le secret sur trois procédés concernant l’écriture et l’art oratoire, deux autres relatifs à autrui et un dernier ayant trait à la mort. En 1936, sous l’impulsion de Domínguez, Breton nous délivre le septième secret de l’art magique surréaliste, dont le titre, « Pour ouvrir à volonté sa fenêtre sur les plus beaux paysages du monde et d’ailleurs », montre assez qu’il entend rivaliser avec la nature mais aussi avec l’art, et cela avec seulement un peu de gouache plus ou moins diluée entre deux feuilles de papier blanc satiné.

Si la recette de l’écriture automatique appartient à l’art magique surréaliste, le procédé de la décalcomanie de Domínguez en relève tout autant sinon plus. En effet, c’est un procédé surréaliste puisque automatique. Mais c’est aussi un procédé magique dans le sens de la magie primitive comblant des désirs avec des moyens rudimentaires ou de simples ingrédients et dans l’acception du prestidigitateur avec ses tours de passe-passe. La décalcomanie opère un véritable tour de force en décalquant la nature sans la copier et en rivalisant avec l’art sans s’en préoccuper. Elle est cet art qui réalise l’art et la nature sans les imiter.

La décalcomanie mise à la portée de tous est plus que troublante, qui fait naître tout un champ imaginaire de visions naturelles. Elle atteint au sublime, car d’un bout de papier plutôt teint que peint elle éveille en nous des sentiments contrastés :

  1. apparition d’un continuum dans une forêt de détails ;
  2. sentiment d’illimité émanant d’une goutte d’eau ;
  3. émerveillement devant la cristallisation d’une matière en formation ;
  4. conviction de toucher du doigt autant la texture du réel que la matière de l’imaginaire.

Sans rien emprunter à la nature, sinon de la gouache et du papier, Domínguez a décalqué des paysages naturels. Dédaignant la nature, le procédé magique se moque aussi de la volonté. L’effet produit par Domínguez est involontaire. Le peintre n’obtient pas ce qu’il aurait prémédité et voulu mais ce qu’au fond de lui-même il a désiré.

En juin 1938, préfaçant une exposition de Wolfgang Paalen, Breton dresse ainsi le bilan des procédés surréalistes liés à l’automatisme : « Au trésor méthodologique du surréalisme – comment substituer à la perception visuelle l’image intérieure – qui s’est enrichi successivement de l’invention du collage, du rayogramme, du frottage, du décollage, de la décalcomanie spontanée, il a apporté une contribution de premier ordre avec le fumage, boucles à perte de vue de la femme aimée dans les ténèbres. » Avec la décalcomanie spontanée, Domínguez a signé une des découvertes majeures de l’art surréaliste comme jeu[13].

Le lion vaincu par la lionne

En 1839, une jeune femme de dix-neuf ans, Léonie d’Aunet, participait, avec son compagnon le peintre François Biard, à une expédition scientifique au Spitzberg[14]. En 1845, elle défraya la chronique car elle fut surprise en flagrant délit d’adultère avec le pair de France Victor Hugo, ce qui lui valut un court emprisonnement et quelques mois de claustration. Pendant des années, Léonie d’Aunet réussit même à supplanter Juliette Drouet, la maîtresse toute dévouée au poète. Une merveilleuse aquarelle de Victor Hugo, connue sous le nom de Rébus amoureux pour Léonie d’Aunet, témoigne de l’empire de Léonie sur Victor.

Le Rébus amoureux est une mise en scène mystique et érotique des initiales de Victor Hugo et de Léonie d’Aunet. Le L de Léonie, véritable stèle-fontaine portant l’inscription « VICTRIX », « la victorieuse », est enfourchée par le V de Victor, V à moitié rompu ; en étreignant le corps conquérant de sa jeune amante, Victor étanche ses désirs jusqu’à en sortir brisé. Un majestueux chevalet en forme de A auquel est accroché un tableau, Solitudo, signé Victor Hugo, repose sur une sorte de châssis en forme de H, sur lequel on peut lire : « LEO VICTOR VICTUS LEÆNA », « le lion victorieux vaincu par la lionne ». De plus, sur le tableau horizontal Solitudo, ou plus exactement sur la partie supérieure du cadre, est gravé le mot « LEA », « la lionne ». Pour achever le tout, l’amant voluptueux a tracé à la plume, sous les initiales triomphantes L.A. et les initiales brisées ou terrassées V.H., ces trois mots : « sous vos pieds », suivis de la signature « Victor H. ».

En août 1927, alors qu’il séjourne au manoir d’Ango pour écrire Nadja, Breton lit l’ouvrage de Louis Guimbaud, Victor Hugo et Madame Biard, paru l’année même. L’aquarelle célébrant les noces de Léonie d’Aunet et de Victor Hugo y est reproduite pour la première fois et longuement décrite. Il faut ajouter que vers 1931 Valentine Hugo offrira à Breton un minuscule lavis au centre duquel Victor Hugo avait tracé le mot « AUBE ». Un lavis qui accompagnera un article de Breton dans Minotaure[15] et jouera sans doute un rôle dans le choix du prénom de la fille de Jacqueline et André.

Séduit par ses dessins visionnaires, Breton fait naturellement de Victor Hugo le précurseur de la décalcomanie de Domínguez. Rappelons ce qu’il en dit dans « D’une décalcomanie sans objet préconçu » et comment il évalue leurs rapports respectifs : « Certains lavis de Victor Hugo paraissent témoigner de recherches systématiques dans le sens qui nous intéresse : des données mécaniques tout involontaires qui y président est manifestement attendue une puissance de suggestion sans égale. Mais ce ne sont le plus souvent qu’ombres chinoises et fantômes de nuées. La découverte d’Oscar Domínguez porte sur la méthode à suivre pour obtenir des champs d’interprétation idéaux. »

Breton rêve de Domínguez

On sait que Domínguez a introduit un bémol dans la décalcomanie spontanée en privilégiant certaines formes. Tout en s’appuyant sur l’automatisme du procédé, il a essayé de mettre en valeur un motif, en particulier un lion. Mieux encore, avec son ami Marcel Jean, qui avait élu de son côté le thème de la fenêtre, il a réalisé une série de décalcomanies détournées. Une souscription a même été lancée pour Grisou, ouvrage d’Oscar Domínguez et de Marcel Jean à paraître en octobre 1937, comprenant seize reproductions de « décalcomanies automatiques à interprétation préméditée » ainsi qu’un texte d’André Breton intitulé « Le lion – la fenêtre ». Mais comme le projet n’a pas abouti[16], il semblerait que Breton ait renoncé à écrire son texte de présentation.

Nous avancerons toutefois l’hypothèse suivante qui permet de mieux préciser les relations de Domínguez et de Breton :

  1. Le 7 février 1937, Breton rêve de Domínguez en train de peindre une « grille de lions fellateurs ».
  2. Il est plus que vraisemblable que le peintre canarien en prend connaissance. Domínguez réalise alors avec Marcel Jean les décalcomanies préméditées de Grisou, se réservant la part du « lion ».
  3. Il est probable que le rêve de Breton du 7 février 1937 devait fournir la matière du texte de présentation « Le lion – la fenêtre ».
  4. Faute de souscripteurs, Guy Lévis-Mano renonce à éditer Grisou.
  5. En mars 1938, dans Cahiers G.L.M. n° 7 consacré au rêve, Breton inclut, sous le titre « Accomplissement onirique et genèse d’un tableau animé », son propre rêve du 7 février 1937.

C’est parce que le thème du lion est commun à Domínguez et à Breton que le poète peut rêver de lions fellateurs via Domínguez et que le peintre peut « décalcomanier » des lions avec l’aval de Breton. Rappelons que dans le rêve du 7 février 1937 le rêveur Breton observe Oscar Domínguez en train de peindre sur une toile un quadrillage d’arbres ou plus exactement, en y regardant de plus près, une série de lions parfaitement emboîtés les uns dans les autres, chaque nœud ou jonction représentant un arrière-train de lion : « Chaque lion se trouve ainsi lécher frénétiquement le sexe du lion voisin (sexe féminin bien qu’il s’agisse de lions et non de lionnes). » Ensuite, chaque postérieur de lion peint par Domínguez se transforme en soleil : « Sous mes yeux émerveillés se déploie une aurore boréale. » L’embrasement érotique est suivi d’un incendie, dont Breton réchappe, ainsi que sa petite fille. Pour finir, un médecin apprend au rêveur que Léon Blum est dans les parages.

« Sur champ de feu, de l’arbre noué à l’aurore boréale par une grille de lions fellateurs », cet intertitre utilisé par Breton combine quatre éléments remarquables du rêve du 7 février 1937 :

  1. L’arbre noué n’est autre que le plus grand dragonnier du monde, l’arbre millénaire de la vallée féerique de la Orotava, qui « plonge ses racines dans la préhistoire, lance dans le jour que l’apparition de l’homme n’a pas encore sali son fût irréprochable qui éclate brusquement en fûts obliques, selon un rayonnement parfaitement régulier. » Outre cette description tirée du « Château étoilé », il faut ajouter que Breton avait justement surnommé Domínguez le « dragonnier des Canaries ». En somme, le Domínguez du rêve déroule son autoportrait.
  2. La grille de lions fellateurs, souvenir pour Breton d’un superbe coït entre un lion et une lionne du zoo d’Anvers, est à l’image même d’une sexualité frénétique, dont on ne sait s’il faut l’attribuer à Domínguez mais dont le modèle incontestable est le Rébus amoureux pour Léonie d’Aunet, l’aquarelle-rébus de Victor Hugo qui voit un chevalet et un châssis s’accoupler, une lionne et un lion consommer leur amour, les initiales L.A. et V.H. atteindre l’orgasme et au-delà.
  3. Comme pour l’aurore boréale qui émerveille Breton, Léonie d’Aunet n’était pas loin d’imaginer des lions fellateurs quand elle décrivait une aurore boréale dans Voyage d’une femme au Spitzberg : « Du point central s’échappaient des gerbes de lumière mobile qui prenaient toute espèce de forme : tantôt pareilles à des langues ardentes, tantôt semblables à des serpents de feu, elles s’enlaçaient de mille façons avec un mouvement lent et continu. »
  4. Mais le champ de feu qui actualise et symbolise l’embrasement du cosmos et la consumation du désir porte aussi en lui la destruction et la mort.

Genèse d’un tableau animé

Certes, il y a dans le rêve du 7 février 1937, une série époustouflante de visions :

  1. la géométrie et la magnificence végétale du dragonnier ;
  2. la motricité et la sexualité animale des lions ;
  3. l’explosion colorée et cosmique de l’aurore boréale ;
  4. le feu dans lequel Domínguez se fond et auquel échappent Breton et sa fille.

Pourtant, le plus étonnant est sans doute moins dans l’assouvissement du désir sexuel et la survenue du sublime cosmique que dans l’expérience proprement artistique et hallucinatoire déclenchée par le peintre. D’une part, en effet, les arbres-lions peints sur la toile par Domínguez s’animent comme sur un écran de cinéma. D’autre part, en s’aidant d’un feu, comme le font les verriers avec le verre en fusion, Domínguez semble avoir découvert le procédé automatique permettant d’animer n’importe quelle scène vivante et admirable sur écran.

Ce n’est pas un hasard si dans le rêve du 7 février 1937 Domínguez transforme son atelier de peintre en studio de dessin animé. Car dans « La Peinture animée », texte inédit de 1936, Breton avait mené une réflexion sur la contraction et la dilatation du temps au cinéma et dans la peinture. Les accélérations, les folles métamorphoses des dessins animés ne dissolvent pas le temps. Tout au contraire « l’éphémère, de sa naissance à sa mort, fait figure d’étoile fixe ». En fait, Breton découvre dans des précipités en principe évanescents comme le dessin animé, le collage surréaliste ou l’écriture automatique, une même durée substantielle, étrangère à toute déformation et à toute destruction. Voyant dans les inventions de la photographie, du cinéma ou du dessin animé un immense défi lancé à la peinture et à la poésie, Breton, toujours dans « La peinture animée », se croit autorisé à animer une série d’images, à concrétiser l’objet de son désir, à révéler une durée automatique exemplaire : « À partir d’ici, il est bien entendu que les pianos peuvent être faits pour rire ou pleurer, les bûches de la cheminée pour livrer passage en se fendant à une cagoule triangulaire d’inquisiteur empreinte d’un cœur, lequel ne cessera de se rapprocher jusqu’à devenir un champ d’avoine, etc. »

À défaut d’avoir pu animer ces images sur un écran, Breton a réalisé en 1937 un photomontage intitulé « Qu’est-ce que l’humour noir ? », où il a inscrit, en bas à gauche, un petit montage de quatre images censé représenter Lichtenberg :

  1. une photographie d’inquisiteur avec cagoule triangulaire maculée d’un cœur ;
  2. un dessin de four d’alchimiste où un homme est enfourné et d’où se volatilisent objets et créatures ;
  3. un dessin de blaireau ;
  4. un relevé topographique comportant les mentions « Lotte » et « Lili ».

En fait, comme Breton le signale à la fin d’ « Accomplissement onirique et genèse d’un tableau animé », Lichtenberg avait joué un rôle déclencheur dans le rêve du 7 février 1937 : « les couleurs de l’aurore boréale qui m’avaient été, comme à beaucoup d’autres, un sujet d’exaltation dans l’enfance, s’étaient, le 5 février, singulièrement ravivées pour moi à la lecture de cette confidence de Lichtenberg : “Autobiographie : ne pas oublier qu’une fois j’écrivis la question : Qu’est-ce que l’aurore boréale ? la glissai au grenier de Graupner, avec cette adresse : À un ange, et me glissai tout timide, à la recherche de mon billet le lendemain matin. Oh ! s’il eût pu s’être trouvé un farceur pour répondre à mon billet.” »

Pour nous résumer :

  1. En 1936, prenant appui sur le dessin animé, Breton réfléchit sur la peinture animée. Il esquisse même un collage d’images.
  2. Le 5 février 1937, il est sollicité par la question de Lichtenberg sur l’aurore boréale[17].
  3. Dans le rêve de Breton du 7 février, le peintre Domínguez, après avoir animé des images et produit une aurore boréale, se dissout dans une cuve en fusion.
  4. Avec pas moins de quatre images servant à l’identifier, Lichtenberg occupe une place exceptionnelle parmi les quarante-huit humoristes du photomontage « Qu’est-ce que l’humour noir ? » de Breton. Or si l’on prend le dessin du four d’alchimiste où l’homme enfourné se dilapide en une multitude de créatures et d’objets, cela évoque tout à la fois la consumation de Domínguez ainsi que l’élaboration de scènes érotiques et de visions cosmiques du rêve du 7 février.

La peinture lithochronique

Incontestablement, depuis l’invitation aux Canaries, le courant passe entre Breton et Domínguez.

  1. Le peintre de Tenerife a fait don à Breton et ses amis du septième secret de l’art magique surréaliste[18].
  2. André Breton a ressenti le sublime de la nature et exprimé son amour fou durant l’ascension du pic du Teide, comme l’indique son puissant appel au Teide : « Teide admirable, prends ma vie ! […] Toutes les routes à l’infini, toutes les sources, tous les rayons partent de toi, Deria-i-Noor et Koh-i-Noor[19], beau pic d’un seul brillant qui trembles ! ».
  3. On peut citer au moins deux prolongements du rêve de Breton du 7 février 1937 chez Domínguez. D’une part la toile Cimetière d’éléphants de 1938, qui est à sa manière une grille d’éléphants fellateurs. D’autre part la théorie de la peinture ou de la sculpture lithochronique proposée par Óscar Domínguez en collaboration avec Ernesto Sábato : « Certaines surfaces que nous appelons lithochroniques, ouvrent une fenêtre sur le monde[20] étrange de la quatrième dimension, constituant une espèce de solidification du temps. / Imaginons un instant un corps quelconque tridimensionnel, un lion africain par exemple, entre deux moments quelconques de son existence. Entre le lion Lo, ou lion au moment où t = o, et le moment Lf, ou lion au moment final, se situent une infinité de lions africains, d’aspects et de formes divers. Si maintenant nous considérons l’ensemble formé par tous les points du lion à tous les instants et dans toutes les positions et traçons la surface enveloppante, nous obtenons un super-lion enveloppant de caractéristiques morphologiques extrêmement délicates et nuancées. » Un texte que Breton n’a pas manqué de citer dans Minotaure de mai 1939. Le super-lion lithochronique semble sorti tout droit du rêve de Breton du 7 février 1937 où le peintre Domínguez animait sur sa toile une grille de lions fellateurs jusqu’à obtenir une aurore boréale[21].
  4. Comme il y a incontestablement une piste dessin animé è peinture animée è tableau animé du rêve du 7 février è peinture lithochronique, chemin frayé tantôt par Breton tantôt par Domínguez, où le lion le dispute à la lionne, et où la peinture, le rêve et le cinéma font bon ménage, il n’est peut-être pas inutile d’évoquer la question de l’identification des objets surréalistes soulevée par Breton le 29 mars 1935 lors de sa conférence à Prague sur la « Situation surréaliste de l’objet ». Man Ray ayant suggéré de recourir « à une sorte de cachet ou de sceau », Breton avait abondé dans son sens : « De la même manière que, par exemple, sur l’écran, le spectateur peut lire l’inscription : “C’est un film Paramount” (sans préjudice, en pareil cas, de la garantie insuffisante qui en résulte sous le rapport de la qualité), l’amateur, jusqu’alors insuffisamment averti, découvrirait, incorporée de quelque manière au poème, au livre, au dessin, à la toile, à la sculpture, à la construction nouvelle qu’il a sous les yeux, une marque qu’on aurait fait en sorte de rendre inimitable et indélébile, quelque chose comme : “C’est un objet surréaliste”. » Or quel est le logo de la Paramount ? C’est une montagne cerclée d’étoiles. En somme, une préfiguration du Château étoilé, du pic du Teide étoilé. On ne peut pas alors ne pas penser au lion rugissant de la MGM. Association arbitraire de notre part ? Nullement. Voici en effet, juste après dans le fil du discours, les cinq objets donnés en exemple par Breton aux auditeurs pragois : « […] cette table, la photographie que ce monsieur a dans sa poche, un arbre à l’instant précis où il est foudroyé, une aurore boréale – entrons dans l’impossible – un lion volant […] ».

Les deux qui se croisent

En 1947, Óscar Domínguez publie Les Deux qui se croisent. Cet ouvrage à tonalité autobiographique est une sorte d’approche raisonnée du hasard objectif. Un certain M. Robson, inventeur et oniromancien, réussit à faire se croiser une personne venue du Nord et une autre venue du Sud. Pendant dix-sept jours, à cinq heures et une minute, chacun des deux personnages déposera un message sur un guéridon trônant au centre de la place de la Bastille. Nous ne serons pas étonnés d’y lire les passages suivants : « Aurore boréale de la perle », « Sur la plage noir velours / À Tenerife », « Que pense le lion de l’horizon ? », « Comme le lion fantôme », « Maud téléphone émail feu du four / Grande chaleur température des températures / Voilà la grande Alchimie voilà la grande illusion / La grande Maud descendant l’escalier de service / Avec le plus grand diamant de l’histoire », « Au rendez-vous des lions de la plus grande taille », « Sur la plage noire où nous irons un jour ».

À la lumière du récit de Domínguez, nous nous demanderons quel est ce tiers qui durant les années trente a favorisé la rencontre quotidienne, au café surréaliste, à cinq heures du soir, du peintre Domínguez et du poète André Breton ? Ce tiers c’est Lautréamont qui a peut-être soufflé le titre Grisou à Oscar Domínguez et Marcel Jean pour leurs décalcomanies préméditées, si on en juge par cette phrase des Chants de Maldoror : « On a vu des explosions de feu grisou anéantir des familles entières ; mais, elles connurent l’agonie peu de temps, parce que la mort est presque subite, au milieu des décombres et des gaz délétères […] ». Dans le rêve du 7 février 1937, entre Domínguez qui s’évanouit dans une cuve en fusion et la famille Breton qui échappe de peu à l’incendie, ne peut-on pas dire que le feu grisou gronde ? Ou plus précisément, Léon Blum étant dans les parages, n’est-ce pas une allusion à l’Espagne en guerre ravagée par le feu grisou ?

Mais s’il y a un tiers qui a contribué au rapprochement de Breton et de Domínguez, c’est bien l’île de Tenerife. Avec le Teide, après les gorges du Verdon, Breton touche au sublime dans la nature. Alors que Domínguez pour sa part expérimente le sublime dans l’art avec la décalcomanie sans objet préconçu.

Quand Breton rêve le 7 février 1937 que Domínguez anime un tableau où un dragonnier de lions fellateurs se transforme en aurore boréale, il n’a pas l’exclusivité de cet imaginaire. À cet égard, souvenons-nous que le peintre de Tenerife a peint en 1933 un tableau intitulé Le Dragonnier où un lion rouge est perché sur un dragonnier.

De même les lions fellateurs ne sont l’exclusivité ni de Breton ni de Domínguez. Victor Hugo avait déjà animé un tableau de lions fellateurs dans l’aquarelle Rébus amoureux à Léonie d’Aunet.

Quant à l’aurore boréale, Lichtenberg avait posé à son sujet une question grave, humoristique et philosophique : Qu’est-ce que  l’aurore boréale ?

Une question analogue hante Breton et les surréalistes. Qu’est-ce qu’un objet surréaliste ? Comment l’identifier ?

Et c’est là où les studios d’Hollywood interviennent : « Ceci est un film Paramount » avec un logo de montagne étoilée, ou bien le lion rugissant de la MGM.

C’est pourquoi Breton, pour qui la poésie et la peinture doivent rivaliser avec le cinéma, conclut « Le Château étoilé », ou plutôt son chapiteau étoilé, par une formule qui sonne comme une marque déposée : « À flanc d’abîme, construit en pierre philosophale, s’ouvre le château étoilé. »

En mars 1953, les surréalistes discutent de l’analogie au café de la place Blanche. André Breton, s’apprêtant à frotter une allumette, déclare alors que la crinière du lion est dans la flamme de l’allumette et réciproquement. Ainsi naissait le jeu de « l’un dans l’autre », qui allait être mis en pratique pendant l’été 1953 à Saint-Cirq-la-Popie, « car le lion est dans l’allumette, de même que l’allumette est dans le lion. »

Part du lion et part du feu,

Dans le jeu de l’un dans l’autre,

Breton rêve encore de Domínguez.

Georges Sebbag

Notes

[1] L’informateur est évidemment d’Óscar Domínguez.

[2] Voir Rimbaud : « Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Éternité / C’est la mer allée / Avec le soleil. »

[3] Il s’agit du pic du Teide qui culmine à 3 718 mètres.

[4] On pense aux derniers mots de l’invocation au Teide : « […] beau pic d’un seul brillant qui trembles ! »

[5] Cela annonce à la fois « la chambre trouble », les mille « sorties de bain » et le dragonnier, « l’arbre immense qui plonge ses racines dans la préhistoire », toutes expressions du « Château étoilé ».

[6] Le rêve de Breton du 7 février 1937, « Sur champ de feu, de l’arbre noué à l’aurore boréale par une grille de lions fellateurs », pourrait servir d’illustration à ces deux vers, érotiques et volcaniques.

[7] Pour invalider les idées traîtresses de péché originel et de chute dans le temps, Breton invoque le printemps en fleur succédant à l’âge du paradis perdu : printemps cosmique de l’écume de la mer mais aussi printemps charnel et historique de l’année d’après, celui des voyages à venir, conduisant André et Jacqueline Breton à Prague et à Tenerife.

[8] « Je vais essayer de rêver des pommiers en fleurs », c’est par ces mots que s’achèvera la lettre d’André Breton à Nelly Kaplan, datée du 15 juillet 1957.

[9] Breton cite La Nouvelle Justine de Sade.

[10] « Montserrat » par André Masson et Georges Bataille forme un ensemble de deux textes, « Du haut de Montserrat » d’André Masson et « Le bleu du ciel » de Georges Bataille, et de deux tableaux de Masson de 1935, « Aube à Montserrat » et « Paysage aux prodiges ».

[11] Breton achève d’écrire la lettre à Écusette de Noireuil en septembre 1936 : « J’ai parlé d’un certain “point sublime” dans la montagne. Il ne fut jamais question de m’établir à demeure en ce point. Il eût d’ailleurs, à partir de là, cessé d’être sublime et j’eusse, moi, cessé d’être un homme. Faute de pouvoir raisonnablement m’y fixer, je ne m’en suis du moins jamais écarté jusqu’à le perdre de vue, jusqu’à ne plus pouvoir le montrer. […] je n’ai jamais cessé de ne faire qu’un de la chair de l’être que j’aime et de la neige des cimes au soleil levant. »

[12] Voir G. Sebbag, Le Point Sublime, Breton / Rimbaud / Kaplan, Paris, Jean-Michel Place, 1997.

[13] L’ouvrage de référence sur la décalcomanie de Domínguez s’intitule Sueños de tinta, Oscar Domínguez y la decalcomania del deseo, CAAM, 1994.  Ce beau catalogue, parfaitement conçu par le commissaire de l’exposition Emmanuel Guigon, reproduit le manuscrit de Breton sur la décalcomanie destiné à l’imprimeur et daté de mars 1936. Il est a noter que Breton avait inscrit la date du 7 mai 1936 sur le manuscrit de premier jet (voir catalogue de vente André Breton d’avril 2003, CalmelsCohen, lot 2211).

[14] Léonie d’Aunet publiera en 1854 Voyage d’une femme au Spitzberg, qui connaîtra un franc succès.

[15] Le lavis de Victor Hugo illustre  « Le message automatique » d’André Breton dans Minotaure n° 3-4, décembre 1933.

[16] Toutefois une édition des décalcomanies préméditées de Grisou verra le jour en 1990, du vivant de Marcel Jean.

[17] Autre aphorisme de Lichtenberg sur l’aurore boréale : « Cette théorie psychologique équivaut, selon moi, à celle bien connue en physique, qui explique l’aurore boréale par le reflet des harengs. »

[18] Óscar Domínguez, l’inventeur de la décalcomanie dans le cadre du surréalisme, a eu des précurseurs comme Victor Hugo et surtout George Sand.

[19] Koh-i-Noor ou « lumière de la montagne » est un diamant  célèbre que possédait un rajah et qui fut retaillé et offert à la reine Victoria. Il en est question dans L’Étoile du Sud, Le pays des diamants. Le roman de Jules Verne a pour ressort l’amour de l’ingénieur des mines Cyprien pour la jeune Alice et la découverte du plus gros diamant du monde, baptisé Étoile du Sud. Ce diamant noir qui dépasse en poids et en splendeur Koh-i-Noor déclenche une multitude de rebondissements où intervient en particulier l’autruche Dada, animal de compagnie d’Alice. Notons que l’Étoile du Sud, en tant que diamant noir qui finit par imploser, participe d’une part du registre bretonien de l’étoile noire (« Baou » de Rimbaud et « Astu » de Nietzsche) et d’autre part du jeu surréaliste de Marseille, dont l’Étoile noire – l’un des quatre emblèmes du jeu de cartes – représente le Rêve et a comme figures Lautréamont, Alice et Freud.  De plus, il y a un véritable air de famille entre la description par Jules Verne d’une incroyable grotte diamantifère et le texte de Breton sur la décalcomanie de Domínguez, sans oublier le rêve du 7 février 1937 : « Les parois de cette substruction naturelle étaient tapissées de stalactites, d’une variété de tons et d’une richesse inouïe, sur lesquelles le reflet des torches jetait des feux d’arc-en-ciel, mêlés à des embrasements de fournaises, à des radiations d’aurores boréales. […] Ici la nature, donnant libre carrière à sa fantaisie, semblait s’être complu  à épuiser toutes les combinaisons de teintes et d’effets, auxquelles se prête si merveilleusement la vitrification de ses richesses minérales. / Rochers d’améthyste, murailles de sardoine, banquises de rubis, aiguilles d’émeraude, colonnades de saphirs, profondes et élancées comme des forêts de sapins, icebergs d’aigues-marines, girandoles de turquoises, miroirs d’opales, affleurements de gypse rose et de lapis-lazuli aux veines d’or – tout ce que le règne cristallin peut offrir de plus précieux, de plus rare, de plus limpide, de plus éblouissant, avait servi de matériaux à cette surprenante architecture. » Etc., etc. Notons aussi que Domínguez a dessiné deux étoiles noires du rêve du jeu de Marseille, l’as et le mage Freud.

[20] Rappelons le titre du septième secret de l’art magique surréaliste : « Pour ouvrir à volonté sa fenêtre sur les plus beaux paysages du monde et d’ailleurs ».

[21] L’énonciation scientifique du rêve de Breton (« N celui d’un lion étendu dans le sens N’N, N’ celui d’un lion étendu dans le sens N’’ N’, etc. ») semble aussi de mise dans le lithochronisme de Sabato et Domínguez.

 

Références

« Breton rêve de Domínguez », in catalogue La part du jeu et du rêve, Oscar Domínguez et le surréalisme 1906-1957, Musées de Marseille et éd. Hazan, juin-octobre 2005.