Blanchot, l’indifférent

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Pour faire exister l’indifférence, il faut se placer dans l’intervalle sentiment du vide-état de vide, qui seul permet une parole mesurée (la parole creuse et le silence étant évités). Chez Blanchot, cet intervalle décrit un espace de la fascination : dans l’attente affleure le sentiment du vide avec son reste de passion, d’inquiétude et d’étrangeté, alors que l’état de vide se dilue dans l’oubli ; l’attente, l’oubli : sentiment d’indifférence, état d’indifférence ; une expression ramassée suffit : l’attrait du vide.

L’attrait du vide

L’intime juxtaposition attente, indifférence délimite un lieu, où les différences de degré alternent facilement avec les différences de nature. L’indifférence connaît l’art de la différence ; pourtant si dans l’espace de la fascination les nuances différentielles l’emportent sur la globalité indifférente, il est à prévoir que l’indifférencié aura son mot à dire, pour tout ramener à un espace de la neutralité. Dès à présent, l’attente qu’il est possible de décrire comme angoissée et fracassante, pressent le statut futur de l’indéterminé : heureuse rencontre avec l’inattendu ; elle entame une partie épuisante et attentive de dédoublement de soi ; elle touche à l’indifférence et en est éloignée ; elle se surprend à ne plus attendre l’impossible, parce qu’elle se laisse atteindre par sa propre attente : « attendre, se rendre attentif à ce qui fait de l’attente un acte neutre, enroulé sur soi, serré en cercles dont le plus intérieur et le plus extérieur coïncident, attention distraite en attente et retournée jusqu’à l’inattendu[1] ». L’attente, face passionnelle de l’indifférence, attrait distrayant et chargé de violence, sait s’arrêter, obnubilée par l’objet à contempler, et laisse échapper une attention, si abstraite et si détachée qu’on la sent désintéressée (comme devant une œuvre d’art), qu’on la devine transparente (dans son absence d’étonnement) : « l’attention est désœuvrée et inhabitée. Vide, elle est la clarté du vide[2] ». Comment ignorer cependant le renouvellement incessant de l’attente dans l’attention, de l’inhabituel dans l’indifférente répétition ? Les étincelles de fascination jaillissent au moment le moins attendu, dans les régions de l’attrait ; peut-être que l’inattendu ne provoque plus l’attention parce qu’il est attendu : « l’attention, accueil de ce qui échappe à l’attention, ouverture sur l’inattendu, attente qui est l’inattendu de toute attente[3] ». Si l’un des termes de la folle et convulsive indifférence est l’attente, l’autre est l’oubli – limite qui côtoie l’inconscient, l’invisible, le silence alors qu’à la surface se débattent la conscience, la parole et les visions attendues ; la mémoire avant d’être complètement détendue (dans l’oubli ou dans le processus inconscient) manifeste une tension qui arrache au monde de l’attrait une différence c’est-à-dire un élément affirmatif, une manière de spécifier ; s’insinuer dans l’espace de la fascination n’a pas l’avantage de libérer les différences mais de les unir à l’indifférence ; l’attrait du vide retire de l’oubli certaines traces, dans la crainte de les voir s’effacer (elles subsistent pourtant à force d’effacement) ; la différence indifférente demeure : « le souvenir était ce mouvement d’attrait qui la faisait venir elle-même, sans autre souvenir que cette différence indifférente[4] ».

Dans la zone de l’attrait se glissent les différences, qui charment l’esprit en communiquant secrètement avec l’indifférence. Pourquoi ne pas rendre éclatante leur complicité ? Pourquoi ne pas accepter la présence de ce qui dit l’essence même de toute absence ? Seul l’attrait du vide délivre la parole silencieuse, délie et attache à la fois la différence ouverte et l’indifférence cachée ; n’allez pas crier : la différence sous le regard de l’attrait est de connivence avec l’indifférence ; en vous taisant, vous stimulerez leur alliance : « si elle différait de parler, cette différence maintenait ouverte la place où venait sous l’attrait la présence indifférente qu’il lui fallait, sans se laisser voir, rendre chaque fois visible. Laissant venir à la présence cette différence indifférente[5] ». L’attrait est ce qui est en attente ; à l’état latent se creuse la différence, s’accentue l’instant de la nuance ; et comment être habité par la différence, si l’on n’a pas encore senti l’indifférence ? Chaque différence se nourrit d’une sourde et virtuelle indifférence. Reconnaître une personne entre mille, c’est choisir – comme en passant –  celle qui se distingue, par son indifférence. L’attente, l’oubli (la différence, l’indifférence) : « dans l’attente où il n’est plus rien qui puisse différer. L’attente est la différence qui a déjà repris tout différent. Indifférente, elle porte la différence[6] ». Dans quel temps sommes-nous ? Les attraits nous stimulent et le vide nous égare : durée formée d’instantanés, douce continuité complétée par une rigide discontinuité. L’intuition du vide, pleine. De même que les espaces indifférents sont contigus et pourtant parallèles, le temps du vide, le temps de l’attrait se dressent dans une stricte intimité, et avec un écart infini, absolu (en un rapprochement approché) : « d’abord l’intimité, d’abord l’ignorance de l’intimité, d’abord le côte à côte d’instants s’ignorant, se touchant et sans rapport[7] ». Le temps – quasi cartésien – fait d’instants, sans prévision et sans retour, sans l’avenir et presque sans le passé, se hérisse d’attraits présents (qui évoquent toutefois une absence) et se montre sous son jour décanté : l’attente (suggérant la présence d’une durée et l’absence de l’objet, détournant l’attention des futilités de l’espérance et l’arrêtant devant les choses à contempler).

Le temps de l’attente se vit dans le présent et comme la plupart du temps le présent s’absente, une attention se dégage, hantée par l’indifférence et l’attrait : « le temps vide, sans projet, est l’attente qui donne l’attention[8] ». Le jeu de l’attention reprend ses droits dans l’espace de la fascination ; l’attente vogue, se déplace infiniment ; l’attention se porte directement sur le point culminant de l’attrait ; l’attente, dessaisie par le temps, se saisit de l’attention pour atteindre le lieu de l’attrait : « par l’attention, il dispose de l’infini de l’attente qui rouvre à l’inattendu, en le portant à l’extrême limite qui ne se laisse pas atteindre[9] ». Si l’attrait attire, c’est parce qu’il ne se laisse pas atteindre ; le vide se dérobe ; dans ce cas, l’attente pourchasse l’oubli, comme la vie attend d’être chassée par la mort. L’attente de la mort oublie la mort ; l’attente s’oublie ; l’attente est indifférente : « il attend la mort dans une attente indifférente à la mort[10] ».

Qu’arrive-t-il à l’attente ? Il ne lui arrive rien, seulement l’oubli. Auparavant une certaine mémoire fonctionne et il y est dit quelque chose ; on y parle en silence ; mais qui parle ? la voix de l’indifférence. Du vide, la voix de la neutralité a surgi ; personne ne la réclame, qui en parle ? Attirée par l’absence de répondant, la voix du vide s’interroge et récite l’inconscient de l’oubli ; personne ne prend en charge une mémoire impersonnelle ; qui parle, sinon la voix de l’oubli ? Et ce qui se dit impersonnel n’a rien à dire : cela raconte ce qui n’appartient à personne. Cela, en disant, récite la différence indifférente (l’attente, l’oubli) : « alors s’éveille le souvenir impersonnel, le souvenir sans personne qui nous tient lieu d’oubli[11] ». En s’égarant dans le désert de l’oubli, l’attente attire à son tour l’oubli dans un vide dont les attraits peuvent émouvoir ; mais l’oubli est indifférent à l’oubli ; si l’attrait du vide dessine le merveilleux espace de la fascination, l’entrée dans l’oubli peut irrémédiablement et sans merveille conduire à une sorte de néant, comme si le silence et l’indifférence recouvraient alors son effacement.

L’histoire de l’oubli est simple, sans histoire (hors du temps, tout en l’ayant traversé), L’oubli n’a plus l’attrait de l’attente, il a les traits de la mort ; la belle attente se métamorphose en un oubli sans couleur et sans vie : « croyez-vous que ce qui est perdu dans l’oubli soit préservé dons l’oubli de l’oubli ? » – « Non, l’oubli est indifférent à l’oubli. » – « Alors, nous serons merveilleusement, profondément, éternellement oubliés ? » – « Oubliés sans merveille, sans profondeur, sans éternité[12] ». Avant d’être ensevelie par l’oubli, l’attente recule l’échéance : elle se fait attendre. Elle revendique une ouverture sur le vide, elle prolonge le silence, elle double le temps de l’attente. L’attente use de son droit de durer. Elle masque son impatience en suscitant une plus longue interrogation, sans penser au temps infini de la réponse ; elle vit présentement sa persévérance; elle remplit son devoir ; mais, sans en avoir l’air, elle augmente l’attente : « par l’attente, chaque affirmation s’ouvrait sur un vide et toute question se doublait d’une autre, plus silencieuse, qu’il aurait pu surprendre[13] ». Qui nous assure que l’histoire de l’attente est un arrêt, une façon de durer longuement ? L’oubli dédaigne l’histoire, l’investit, la dénature ; laisserait-il l’attente entamer une histoire ? Pourquoi ne pas insuffler un vide originel, un oubli primordial, dans l’attente, sans qu’elle s’y attende (à ses débuts) ? Avec l’oubli, l’attente ne peut plus durer, et son histoire, commencera-t-elle seulement ? « Du dehors, il aurait voulu qu’on vît mieux ce qu’il en était : au lieu du commencement, une sorte de vide initial, un refus énergique de laisser l’histoire débuter[14] ». Le temps sans histoire décrit l’espace d’une attente qui piétine (n’ayant guère amorcé sa durée). Mais l’attente se déroule, sans trop sentir le poids ou la légèreté de sa trajectoire ; elle mime l’espace, elle se plie aux contours et aux détours. L’attente s’oublie pour ressembler à quelque chose de grand, de compliqué, à une invention (nullement au courant de ses perfections et défectuosités), à un objet d’artifice (auquel échappe toute finalité) ; un espace d’attente, d’oubli, sans durée : « partout la terrible attente devenue, par suite de la suppression de tout but et du temps lui-même, une machine maudite dont le mécanisme avait pour unique fonction de mesurer dans une exploration silencieuse la course infinie et inutile de ses diverses pièces[15] ».

Expulsé de l’attente, environné par l’oubli, l’attrait survit (puisqu’il parle) : il tourbillonne dans le vide, il s’interroge en passant, il suit le mouvement de ce qui demeure – son existence. Il n’est pas trop inquiet, il sait seulement qu’il n’a pas à s’inquiéter. L’attrait du vide, mis à part les moments de fascination, écoute l’infinie répétition de l’absence d’histoire, le ressassement éternel de la parole cernée par le silence, l’incroyable agitation au sein de l’insignifiant ; les forces se dépensent sans songer à leur faiblesse ; l’histoire est vide, et il s’y passe presque quelque chose : « c’était une histoire absolument vide d’événements, vide au point que tout souvenir et toute perspective en étaient supprimés, et cependant tirant de son absence glaciale son cours inflexible qui semblait tout emporter d’un irrésistible mouvement vers une catastrophe imminente. Qu’allait-il donc se passer ? Elle n’en savait rien et elle n’essayait même pas de le savoir puisqu’il n’y avait pas d’événement possible[16] ». Comment l’attrait du vide mène si bas ? Comment parvient-il à happer, à persuader de la vanité de l’attente ? Comment fait-il oublier ? Comment oublie-t-on l’oubli ? Ne peut-on sauver grâce à l’attrait quelque passion voire quelque sublime indifférence ? Sommes-nous immanquablement possédés par le vide ou le rien ? Ne se passe-t-il vraiment rien ? « L’essentiel est que justement il n’y a rien à en dire, il ne se passe rien, il n’y a rien[17] ». L’attrait du vide, s’il nous fait buter désormais sur un rien, nous a engagés dans les espaces de l’attente et de l’oubli, dans l’intervalle sentiment d’indifférence-état d’indifférence.

Dans l’attrait du vide, un jeu s’instaure entre le vide et l’attrait. Blanchot mêle le vide à la plénitude de l’attrait; il creuse les différences, révélatrices de l’indifférence ; il tisse des fils qui lient les êtres sans oublier de brouiller leurs rapports ; la distance, la différence, le vide sont là pour rapprocher et éloigner à la fois l’attente et l’oubli. Aussi le lieu de séparation et de rencontre permet d’articuler deux formidables instances indifférentes : la vision et la parole ; elles se parlent et se regardent, sans se voir ni s’entendre ; le vide produit et détruit le différend, coupe les amarres et signale d’indifférence : « voir, oublier de parler ; parler, épuiser au fond de la parole l’oubli qui est l’inépuisable. Ce vide entre voir et dire où ils sont portés illégitimement l’un vers l’autre[18] ».

De plus l’attrait, la possibilité du vide fonde le discours, comme si la parole était divisée, creusée par le vide. La présence du vide n’est pas seulement nécessaire entre deux termes comme voir et dire, elle s’incruste dans chaque terme pour le consolider tout en le minant. Le vide est à l’origine du langage ; le discours sort du néant et parle pour ne rien dire ; l’entrelacement du plein et du vide n’est surtout pas dialectique, il est indifférent, il est un rien (qui renvoie peut-être à un autre attrait du vide) : « Le langage ne commence qu’avec le vide ; nulle plénitude, nulle certitude ne parle, à qui s’exprime, quelque chose d’essentiel fait défaut. La négation est liée au langage. Au point de départ, je ne parle pas pour dire quelque chose, mais c’est un rien qui demande à parler, rien ne parle, rien trouve son être dans la parole et l’être de la parole n’est rien[19] ». L’attrait du vide définit chez Blanchot un nouvel espace de déploiement de l’indifférence, un curieux mélange de vide happé par l’attrait et de plein qui s’engouffre dans le vide ; la fascination étreint le vide, le vide attire la fascination ; le sentiment de l’indifférence gagne l’état d’indifférence, l’état de vide remplit le sentiment du vide.

L’attrait et le vide

Blanchot compose avec le vide et l’attrait. Il recherche les équivalents du vide dans le monde de l’attente ; pour lui, l’imaginaire fait le vide comme la mort ; l’image, la dépouille ; le cadavre : « l’indifférence de cette place, le fait qu’elle est pourtant une place quelconque, devient la profondeur de sa présence comme mort, devient le support de l’indifférence ; l’intimité béante d’un nulle part sans différence, qu’on doit cependant situer ici[20] ». L’image, le cadavre : la neutralité et l’incroyable. L’image dépouille, l’image est un rien qui va nulle part et partout, l’image abstrait, l’image se vide, l’image s’identifie à tout. Le cadavre ressemble à l’image ; tous deux ressemblent à la ressemblance, tous deux reproduisent le rien inhabituel. Fugitives et laissant des traces : l’image, la dépouille. « Et si le cadavre est si ressemblant, c’est qu’il est, à un certain moment, la ressemblance par excellence, tout à fait ressemblance, et il n’est rien de plus. Il est le semblable, semblable à un degré absolu, bouleversant et merveilleux. Mais à quoi ressemble-t-il ? À rien[21] ».

On ne se défait pas de l’attrait comme on abandonne la passion d’un jour. On se surprend à rencontrer l’attrait là où l’on attendait le vide. Le vide de l’attrait c’est la présence pleine et passionnée de l’indifférence. La passion de l’attrait déclenche l’indifférence du vide. L’attrait et le vide, la passion et l’indifférence, le sentiment et l’absence de sentiment. Comment ne pas sentir cette existence unique de l’indifférence au sein d’une imagination exaspérée par la passion ? Pourquoi ne pas faire coïncider les extrêmes ? « Il n’y avait pour lui qu’un seul vrai poison, l’amour, qu’une amitié, l’amour, qu’une indifférence, l’amour[22] ». Quand la plénitude commence à ressembler à la vacuité, quand l’indifférence appelle un au-delà de la passion, quand l’attrait est encore plus vide que le vide ou ce dernier plus attirant que l’attrait, l’illimité bouscule les limites et renverse les perspectives, les forces sont neutralisées dans les grands espaces et exaltées dans les impasses ; la rivalité de l’indifférence et de la passion est infinie : qui poussera l’autre dans le gouffre de l’être ou du néant ? Le départ de la course pour l’attrait et le vide est donné : « plus inhumaine, plus étrangère, plus froide que l’impassibilité, cette passion qui n’était chauffée que par elle, qui était faite de la mort du soleil, plus insensible que l’indifférence cette sensibilité inexorable qui était prête à faire de la tendresse le commencement d’une terrible destruction[23] ». L’objet de l’attrait et du vide reste à identifier. On le reconnaît à un signe : l’état de repos – auquel aboutit, on le suppose, l’affrontement de l’attrait et du vide. Dans la paix on lit la guerre ; dans la tranquillité on voit les beaux traits d’un visage, la même immobilité des rivaux. Il y a un moment inégalé où l’attrait et le vide se complètent, se dénudent et se recouvrent silencieusement : le sommeil étend sa noble caresse sur les guerriers désarmés. L’amour, l’indifférence : le sommeil. « C’était l’amour, ce sommeil. C’était bien l’indifférence[24] ». Conçoit-on réellement que l’attrait et le vide se remplacent, se superposent ? Pourquoi s’attendent-ils et s’oublient-ils, l’un l’autre ? Dans le non-être du vide retentit l’écho de l’attrait, et comme s’il fallait combler une lacune, la passion chemine après maint détour vers un point d’appel, inaccessible, particulièrement inexistant. La passion emprunte les voies les plus indirectes pour s’emparer de ce vide qui pourrait faire son orgueil ; dans cette aventure, rien de systématique, rien de dialectique, seulement une issue désespérée pour des passions chargées d’attrait et de vide.

La conquête du point sublime n’est pas une fin en soi, elle est le destin de tout sentiment qui traverse les phases du terrible interdit et de la subtilité voilée. La passion se consume dans un air confiné mais pur : « le mot non-être, dans sa forme desséchée et ascétique, appelait les grands secrets souterrains qui ne peuvent se consommer que dans les tragiques passions défendues[25] ». Une simple interpénétration n’explique pas le débordement et l’infinitude des sentiments mêlés à l’indifférence, d’autant plus que les lois et les mesures habituelles sont transgressées. L’indifférence inaugure une législation où seule compte « non pas la mesure qui limite, mais la mesure qui mesure en réservant l’illimité[26] ». Des sauts, des épanchements, des décolorations de sentiment se produisent au contact de l’indifférence qui renforce ainsi la gamme des sentiments ; l’absence de sentiment déteint sur chaque sentiment : admirer, mais admirer avec indifférence ? Dans le froid du vide se réchauffent et explosent les violences, les désirs, les attraits. L’indifférence accentue les sentiments, l’indifférence est l’espace où se gravent les passions ; l’attrait du vide ne fascine déjà plus, l’attrait et le vide se neutralisent ; dans l’espace de la neutralité se côtoient les décisions, les conduites, les sensations les plus opposées : « au sein de l’indifférence elle brûla d’un seul coup, torche complète, avec toute sa passion, sa haine pour Thomas, son amour de Thomas[27] ».

L’indifférence devient peu à peu un indifférencié : des choses s’y passent indifféremment. Maintenant les contraires baignent dans un milieu où les différences – étant tellement autres – se ressemblent. L’espace de l’indifférence, de la neutralité (la nuit, le silence, la solitude) n’est pas une manière apaisante, une sorte de solution pour résoudre le conflit des passions ; il se tient là toujours présent et toujours absent. Il nous enveloppe et nous délivre des tourments. Il tire sa puissance de rien et il est faible quand il veut communiquer sa force, au grand jour. Comment rester insensible à cette insignifiance qui peut tellement, à ce néant qui constitue, sans douleur, et presque dans la joie, la chair des désirs ? « Tout ce qu’Anne aimait encore, le silence et la solitude, s’appelait la nuit. Tout ce qu’Anne détestait, le silence et la solitude, s’appelait aussi la nuit. Qu’il était agréable de pouvoir se servir indifféremment du verbe aimer, du verbe détester et de les prendre tous deux pour synonymes de l’indifférence. Nuit absolue où il n’y avait plus de termes contradictoires, où ceux qui souffraient étaient heureux, où le blanc trouvait avec le noir une substance commune[28] ». Peut-on oublier, peut-on attendre le moment où l’attrait et le vide coexistent ? Que signifie une indifférence identique au désir ? Sait-on désormais différencier espace de la fascination et espace de la neutralité ? Comment reconnaître un sentiment si son absence en dit plus long encore ? Décidément, quand l’indifférence entre résolument dans la neutralité, elle écarte les limites, réduit l’illimité, embrase le vide, fige l’attrait ; bref, elle brouille, exalte et anéantit les sentiments. Elle va jusqu’au point où l’on désire qu’elle n’aille pas. Elle surprend – elle indique en passant notre incompétence : pris en flagrant délit, nous ne réagissons plus. L’indifférence, le vide passionnent l’attrait, le désir. Expérience-limite : « son visage, d’instant en instant plus beau, finit par établir l’absolue indifférence comme rappel suprême du désir[29] ».

L’indifférence jongle avec les sentiments. Le vide attire la passion, la passion du vide se vide jusqu’à la passion, l’absence de passion est le signe d’un vide infini de passion. L’attrait et le vide : de quel côté au juste sommes-nous ? Désir suprême, indifférence absolue. « Je pénètre au cœur de la fureur amoureuse dans ce vide où plus rien n’est sensible. Dans l’absence de passion et d’indifférence, je suis dans la passion et l’indifférence même. Absence absolue de désir[30] ». L’état de vide, sans le moindre désir, ouvre une immense brèche dans le monde de l’attrait, et jaillissent de violents et fermes sentiments mais aussi des passions ternes et froides. Si avec l’attente, l’oubli (sentiment du vide, état de vide ; sentiment de l’absence de sentiment, absence de tout sentiment) on passe insensiblement d’un sentiment à un autre jusqu’à ce que le dernier s’éteigne, avec l’attrait et le vide on est déconcerté par la convergence, l’abolition, la fulguration des sentiments. La machine s’enraye, on constate l’absence totale de sentiment, mais avant l’angoissant anéantissement, on a le temps d’envisager cette absence, de l’expulser, de l’appeler, de l’aimer et la maudire.

L’indifférence joue des tours : « alors que tout à l’heure je ne sentais rien, éprouvant seulement chaque sentiment comme une grande absence, c’est maintenant dans l’absence complète de sentiment que j’éprouve le sentiment le plus fort[31] ». Sentiment de l’absence, absence de sentiment, on ne situe plus les contraires dans ce ballet intime des sentiments. Attendre patiemment qu’une cassure se produise, que cesse le tourbillon ; mais l’absence ne desserre pas l’étreinte : « Absent de cette absence, je me recule infiniment. Je perds tout contact avec l’horizon que je fuyais. Je fuis ma fuite. Où est le terme où je m’arrêterai ? Déjà le vide où j’étais tout à l’heure m’apparaît comme un monstre de plénitude[32] ». L’attrait et le vide, la présence et l’absence, la vie et la mort. Une subite absurdité balaie les sentiments, l’absence de sentiments, l’indifférence, le sentiment de l’absurde, mon indifférence : « quelque chose de totalement absurde me sert de raison. Je me sens mort – non ; je me sens, vivant, infiniment plus mort que mort[33] ». S’il faut rester en vie, et dans la passion de l’indifférence, le recours aux sentiments de l’absence est de rigueur : l’attrait et le vide. Glisser peu à peu de l’espace de la fascination à celui de la neutralité, d’une absence à une autre d’un vide à l’attrait d’un autre vide. Prendre davantage parti pour la nuit, l’invisible, le silence, l’inouï, le rien, l’intact, l’inexistence, traverser aisément le corps de celui qu’on nomme Thomas l’obscur. Comment appeler celui qui n’existe pas, « l’homme qui, à la façon de l’homme-canon, porte les épithètes ridicules d’homme-néant, d’homme-absence, et dont pourtant la mort est inimaginable[34] » ? Comment interrompre la chute dans le gouffre ? L’attrait du vide, multiplié par l’attrait et le vide, ne trouverait pas un moment d’équilibre ? L’épopée de l’absence se creuse indéfiniment.

Vient aussi le temps de la chute libre (aux gestes amples et périlleux) : « ajouter indéfiniment, absurdement, l’absence à l’absence et à l’absence de l’absence et à l’absence de l’absence de l’absence, et ainsi avec cette machine aspirante faire désespérément le vide. À cet instant commence la vraie chute, celle qui s’abolit elle-même, néant sans cesse dévoré par un néant plus pur[35] ». De l’indifférence passionnée à l’absence, on devine la présence théorique d’un langage de la fiction ; qui opère  ou qu’est-ce qui opère l’absence ? l’homme, son esprit, une des facultés de l’esprit – une opération mentale.

Pour Blanchot, cette absence se rencontre à tous les niveaux, en particulier dans le langage. Et l’imagination est à l’œuvre : « son mouvement est de poursuivre et d’essayer de se donner cette absence même en général et non plus, dans l’absence d’une chose, cette chose, mais à travers cette chose absente, l’absence qui la constitue, le vide comme milieu de toute forme imaginée et, exactement, l’existence de l’inexistence, le monde de l’imaginaire, en tant qu’il est la négation, le renversement du monde réel dans son ensemble[36] ». L’absence, même pour l’écrivain, renvoie à un espace de la fascination, marqué surtout par l’absence de temps. Mais ce jeu des présences et des absences s’effectue sur un mode indifférent, c’est-à-dire surprenant et quotidien, étincelant et insignifiant. L’œuvre, essentiellement solitaire, essentiellement dans l’espace de la fascination et de l’absence, s’entrouvre à une neutralité affirmée, qui par son impersonnalité demande un recommencement. Avant de sombrer dans la répétition, l’écriture s’affirme dans l’absence, portée par une indifférence opposée aux processus systématiquement naturels : « le renversement qui, dans l’absence de temps, nous renvoie constamment à la présence de l’absence, mais à cette présence comme absence, à l’absence comme affirmation d’elle-même, affirmation où rien ne s’affirme, où rien ne cesse de s’affirmer, dans le harcèlement de l’indéfini, ce mouvement n’est pas dialectique[37] ». L’espace de la fascination se double d’un espace de la neutralité, le langage descend encore quelques paliers indifférents ; l’absence comme présence, la neutralité comme parole, la solitude comme fascination, le regard comme cécité – indifférenciation et impersonnalité de l’indifférence. Directement indirecte, la neutralité s’impose, avant tout quand l’attrait du vide – la fascination – lui infuse sa vitalité, son intimité : « la fascination est fondamentalement liée à la présence neutre, impersonnelle, le indéterminé, l’immense Quelqu’un sans figure. Elle est la relation que le regard entretient, relation elle-même neutre et impersonnelle, avec la profondeur sans regard et sans contour, l’absence qu’on voit parce qu’aveuglante[38] ». La neutralité parle et cependant seul le silence lui convient ; l’espace littéraire à travers sa fiction et son irréalité, sa poésie et son cri silencieux est dépossédé de sa propension à mettre en avant une personne, une histoire ; mais on y parle de quelque chose sans nom, de quelqu’un sans visage.

Parce qu’on y parle, on y répète le même silence. L’indifférence vogue alors dans l’illimité des grands espaces et dans les limites de la solitude (du journal intime, par exemple) : « quand la neutralité parle, seul celui qui lui impose silence prépare les conditions de l’entente, et cependant ce qu’il y a à entendre, c’est cette parole neutre, ce qui a toujours été dit, ne peut cesser de se dire et ne peut être entendu. Cette parole est essentiellement errante, étant toujours hors d’elle-même. Elle désigne le dehors infiniment distendu qui tient lieu de l’intimité de la parole[39] ». Avant d’écouter vraiment la voix de la neutralité, reconnaissons qu’il aurait fallu parcourir de nombreuses étapes (attrait du vide, attrait et vide, attrait ou vide et ainsi de suite) pour résoudre l’énigmatique attrait-vide ; l’espace de la fascination n’est jamais complètement investi par l’espace d’une rigoureuse neutralité : « ici, ce qui parle au nom de l’image, “tantôt” parle encore du monde, “tantôt” nous introduit dans le milieu indéterminé de la fascination, “tantôt” nous donne pouvoir de disposer des choses en leur absence et par la fiction, nous retenant ainsi dans un horizon riche de sens, “tantôt” nous fait glisser là où les choses sont peut-être présentes, mais dans leur image, et là où l’image est le moment de la passivité, n’a aucune valeur ni significative ni affective, est la passion de l’indifférence[40] ». Chez Blanchot l’imagination, le langage, l’indifférence associent l’attrait et le vide au plus haut point. L’attrait et le vide reflètent alors la collusion sentiment d’indifférence-état d’indifférence, c’est-à-dire l’intervalle de l’attrait du vide ; et ils mènent la parole jusqu’à son extrémité, la passion du silence.

La voix de la neutralité

Blanchot s’attaque à Descartes ; l’existence est mise en cause : je pense, donc je ne suis pas. L’absence comme présence resurgit, le vide comme attrait m’ouvre à l’existence. Le Je est malmené par l’indifférent : « je pense, dit aussi Thomas, et ce Thomas invisible, inexprimable, inexistant que je devins fit que désormais je ne fus jamais là où j’étais, et il n’y eut même en cela rien de mystérieux. Mon existence devint toute entière celle d’un absent qui à chaque acte que j’accomplissais produisait le même acte en ne l’accomplissant pas[41] ». Mais où va-t-on ? d’une indifférence encore plus marquée à un espace de la neutralité d’où n’émerge plus qu’une voix impersonnelle. Blanchot, en effet, échappe peu à peu à l’attrait de la passion et s’égare dans un nulle part, un langage, une personne, à travers lesquels la neutralité répète inlassablement son indifférence : « “ce n’est rien” dit Thomas, prononçant le seul mot qui eût un sens pour lui. Et jouissant de son abandon qu’il ne savait attribuer à l’anéantissement ou à l’indifférence, il garda Anne contre lui[42] ». Si le mot rien a une signification c’est parce qu’il étend sa neutralité sur toutes les autres paroles. Le discours devient abstrait et blanc, il n’évoque plus rien ; les phrases sont égales ; une ressemblance, une répétition, une indifférence secouent le cours silencieux du langage : « il ne pensait pas qu’une parole eût plus d’importance que l’autre, chacune était plus importante que toutes les autres, chaque phrase était la phrase fondamentale, et pourtant elles ne cherchaient qu’à se rassembler toutes ensemble dans l’une d’elles qu’on aurait pu taire[43] ». Les phrases différentes dans leur indifférence, égales sans égalité, représentent une absence et délaissent déjà l’attrait pour le vide de la neutralité et de la répétition : « cette parole égale, espacée sans espace, affirmant au-dessous de toute affirmation, impossible à nier, trop faible pour être tue, trop docile pour être contenue, ne disant pas quelque chose, parlant seulement, parlant sans vie, sans voix, à voix plus basse que toute voix : vivante parmi les morts, morte entre les vivants, appelant à mourir, à ressusciter pour mourir, appelant sans appel[44] ». Si le silence et la parole s’observent et qu’il en résulte une égalité silencieuse, c’est que l’oubli est proche ; le vide a cédé la place à un vide plus subtil, à une mémoire plus détendue ; on ne porte plus la bonne parole, mais un mince filet de voix parle : « cette parole égale qu’il entend, unique sans unité, murmure d’un seul comme d’une multitude, portant l’oubli, cachant l’oubli[45] ».

Blanchot fait écouter alors la voix narrative, la voix de la neutralité ; c’est elle qui à travers le récit neutralise la vie ou établit avec cette dernière un rapport neutre, c’est-à-dire qu’une distance – un désintéressé, au sens kantien – rend vaine et indifférente toute signification ou absence de signification. Le Il narratif, qui a évidemment destitué le Je, tient lieu de vide dans le monde attrayant de l’œuvre : il est impersonnel et il règne dans les personnes qui portent la parole tout au long du récit, qui vivent ce qui leur arrive sur le mode de la neutralité (attente de l’oubli, oubli de l’attente).

La voix de la neutralité ne dit rien, elle parle d’un nulle part, d’une extériorité sans distance : « elle est toujours différente de ce qui la profère, elle est la différence-indifférence qui altère la voix personnelle. Appelons-la (par fantaisie) spectrale, fantomatique. Non pas qu’elle vienne d’outre-tombe ni même parce qu’elle représenterait une fois pour toutes quelque absence essentielle, mais parce qu’elle tend toujours à s’absenter en celui qui la porte et aussi à l’effacer lui-même comme centre, étant donc neutre en ce sens décisif qu’elle ne saurait être centrale, ne crée pas de centre, ne parle pas à partir d’un centre, mais au contraire, à la limite empêcherait l’œuvre d’en avoir un, lui retirant tout foyer privilégié d’intérêt, fût-ce celui de l’afocalité, et ne lui permettant pas non plus d’exister comme un tout achevé, une fois et à jamais accompli[46] ». Que la différence-indifférence soit dite par Blanchot ou un autre, peu importe ! Elle appartient à quelques-uns et à presque tous ; elle affirme la différence qualitative, la pluralité empirique et le vide indifférencié. Laissons l’excellent texte de Blanchot dire la neutralité que porte en elle la voix narrative ; que cette voix parle pour nous, presque pour nous tous ! À force de lire l’indifférence, on oublie de la voir ; la voix narrative nous la rappelle, et peut-être que désormais nous saurons l’écouter :

« 1° parler au neutre, c’est parler à distance, en réservant cette distance, sans médiation ni communauté, et même en éprouvant le distancement infini de la distance, son irréciprocité, son irrectitude ou sa dissymétrie, car la distance la plus grande où régit la dissymétrie, sans que soit privilégié l’un ou l’autre des termes, c’est précisément le neutre (on ne peut neutraliser le neutre) ; 2° la parole neutre ne révèle ni ne cache. Cela ne veut pas dire qu’elle ne signifie rien, cela veut dire qu’elle ne signifie pas à la manière dont signifie le visible-invisible, mais qu’elle ouvre dans le langage un pouvoir autre, étranger au pouvoir d’éclairement (ou d’obscurcissement), de compréhension (ou de méprise). Elle ne signifie pas sur le mode optique ; elle reste en dehors de la référence ultime de toute connaissance et communication au point de nous faire oublier qu’elle n’a que la valeur d’une métaphore vénérable, c’est-à-dire invétérée ; 3° l’exigence du neutre tend à suspendre la structure attributive du langage, ce rapport à l’être, implicite ou explicite, qui est dans nos langues, immédiatement posé, dès que quelque chose est dit… Mais il se pourrait que raconter, ce soit attirer le langage dans une possibilité de dire qui dirait sans dire l’être et sans non plus le dénier – ou encore, plus clairement, trop clairement, établir le centre de gravité de la parole ailleurs, là où parler, ce ne serait pas affirmer l’être et non plus avoir besoin de la négation pour suspendre l’œuvre de l’être, celle qui s’accomplit ordinairement dans toute forme d’expression. La voix narrative est, sous ce rapport, la plus critique qui puisse, inentendue, donner à entendre. De là que nous ayons tendance, l’écoutant, à la confondre avec la voix oblique du malheur ou la voix oblique de la folie[47] ».

La neutralité se fait réalité dans la voix narrative ; elle enjambe du même coup les redondances dialectiques – celles d’une lumière qui manie le clair-obscur – pour se dresser indifférente parmi les différences pour échapper aux dilemmes, aux alternatives. La neutralité enfin conquise n’affirme ni ne nie (« ni nier, ni croire », dit Lichtenberg), elle parle et étrangement se fait entendre de nous ; et pourtant elle n’émane de presque personne ; et à qui s’adresse-t-elle ? La voix de la neutralité porte, malgré elle, malgré son inexistence. Après les démêlés de l’attrait et du vide, il était urgent de sentir la neutralité, au moins de l’entendre à travers la voix narrative. Pour Blanchot l’aventure de l’attrait et du vide se termine, sur le plan du langage, par l’expérience de la neutralité : l’écriture blanche et absente, traquée par le silence, raconte ce qui a toujours été dit et n’a presque jamais été écouté.

La littérature est alors la voix impersonnelle qui peut encore dire quelque chose, puisqu’il n’y a plus rien à dire : « écrire sans “écriture”, amener la littérature à ce point d’absence où elle disparaît, où nous n’avons plus à redouter ses secrets qui sont des mensonges, c’est là “le degré zéro de l’écriture”, la neutralité que tout écrivain recherche délibérément ou à son insu et qui conduit quelques-uns au silence[48] ». Mais la neutralité n’affecte pas seulement l’écriture : c’est une façon de parler que de s’en tenir à la voix narrative ; la neutralité s’insinue dans tous les genres littéraires et à tous les niveaux ; elle traduit ce qui peut encore être dit de notre existence. Et l’ontologie traditionnelle s’efface sous le regard distrait de l’indifférent ; Blanchot opère alors une réduction vis-à-vis de l’être ; dans une formulation ambiguë, l’oubli assure la vacuité de l’être : « l’être est encore un nom pour l’oubli[49] ».

Chaque voix narrative (celle de Blanchot, mais celles aussi de Kafka, de Musil, de Cioran et de bien d’autres) fait entendre, en deçà et au-delà de l’attrait et du vide, une différence-indifférence. La neutralité ne peut se dire d’une seule manière. Dès qu’elle échappe à la surveillance du silence, elle vient, haletante, comme en passant, sans avoir l’air de raconter des merveilles – elle ne s’adresse pas à tout le monde cependant. Elle fait l’effort de parler, et c’est pourquoi elle paraît si vivante, en un monde où il n’y a plus rien à dire ; elle nous semble sans âge, car elle est le retour éternel de la parole qui émerge de l’oubli. La différence-indifférence est cette neutralité qui écarte le différend et accuse la différence. En somme, la neutralité n’a pas fini de nous donner à lire un Blanchot si différent, si ressemblant – l’indifférent.

Georges Sebbag

 Notes

[1] L’attente l’oubli, 1962, p. 20.

[2] Ibid., p. 45.

[3] Ibidem.

[4] Ibid., p. 104.

[5] Ibid., p. 111.

[6] Ibid., p. 135-136.

[7] Ibid., p. 31.

[8] Ibid., p. 47.

[9] Ibid., p. 48.

[10] Ibid., p. 56.

[11] Ibid., p. 76.

[12] Ibid., p. 62.

[13] Ibid., p. 101.

[14] Ibid., p. 22.

[15] Thomas l’obscur, 1941, p. 128.

[16] Ibid., p. 63.

[17] Aminadab, 1942, p. 95.

[18] L’attente L’oubli, p. 141.

[19] La part du feu, 1949, p. 327.

[20] L’Espace littéraire, 1955, p. 269.

[21] Ibid., p. 271.

[22] Thomas l’obscur, p. 97.

[23] Ibid., p. 99.

[24] Ibid., p. 103.

[25] Ibid., p. 132.

[26] L’attente L’oubli, p. 97.

[27] Thomas l’obscur, p. 187.

[28] Ibid., p. 194.

[29] Ibid., p. 208.

[30] Ibid., p. 221.

[31] Ibid., p. 222.

[32] Ibid., p. 221.

[33] Ibid., p. 222.

[34] Ibid., p. 178.

[35] Ibid., p. 186.

[36] La part du feu, p. 85.

[37] L’Espace littéraire, p. 21.

[38] Ibid., p. 24.

[39] Ibid., p. 45-46.

[40] Ibid., p. 276.

[41] Thomas l’obscur, p. 218.

[42] Ibid., p. 56.

[43] L’attente L’oubli, p. 48.

[44] Ibid., p. 155.

[45] Ibid., p. 158.

[46] « La voix narrative », La Nouvelle Revue française, n° 142, octobre 1964, p. 683·684.

[47] Ibid., p. 684-685.

[48] Le livre à venir, 1959, p. 252.

[49] L’attente L’oubli, p. 69.

Références

Georges Sebbag, « Blanchot l’indifférent », Les Lettres Nouvelles, mars-avril 1968.

« Blanchot l’indifférent » est la version remaniée (réduite à la seule personne de Blanchot) de : « D’un différend d’indifférents (Blanchot et Cioran) », chapitre IV, du D. E. S. de philosophie de Georges Sebbag, De l’indifférence, mai 1965.

De l’indifférence de Georges Sebbag paraît dans sa version intégrale en 2002 chez Sens & Tonka.