Jean-Pierre Lassalle recense Sur l’objet surréaliste

Emmanuel Guigon et Georges Sebbag, Sur l’objet surréaliste. Les Presses du Réel. 2013.

Une grande exposition sur l’objet surréaliste au Centre Pompidou, une autre exposition sur des objets-boîtes à Lyon, toutes ces manifestations montrent l’importance de l’objet dans la création surréaliste, ce qui a conduit le Figaro du 4 novembre 2013 à risquer ce titre : Surréalisme, cet obscur objet du désir. Dans ce contexte ô combien favorable, l’ouvrage de Guigon et Sebbag revêt une importance toute particulière. Il montre que les surréalistes « donnent vie à l’objet à travers une rafale d’actions, d’inventions et de détournements : objets volés, objet-mannequin, objet onirique, boules de neige, objets trouvés, objets à fonctionnement symbolique, poème-objet, etc ». Cet essai pénétrant est d’une écriture dense désireuse de conduire le lecteur tout de suite à l’essentiel. Le corollaire est que la lecture n’est pas toujours aisée. Il faut entrer dans le livre et ne pas le survoler. Les auteurs commencent par des définitions, des aphorismes, des axiomes, des propositions, des exemples. Sommes-nous dans un questionnement socratique, ou dans une démarche analogue au Wittgenstein du Tractatus logicus philosophicus ? Mais si l’on franchit sans dommage le premier chapitre, le reste se déroule de manière plus linéaire, et les auteurs usent même du terme de « feuilleton de l’objet surréaliste », replaçant la question dans la chronologie du mouvement. Et c’est là que les auteurs innovent, en rectifiant bien des erreurs de perspective. À la page 82, ils montrent, en effet, que l’objet surréaliste n’apparaît pas seulement dans les années 1930, mais dès le début de 1920. Sont ainsi évoqués le rôle de Marcel Duchamp en 1921, d’André Breton en 1924, et dès 1926 une exposition d’objets surréalistes est annoncée. Elle sera réalisée en 1933 et en 1936, mais en 1926 des objets surréalistes sont édités. Tout cela coïncide avec l’engouement pour les objets d’art primitif d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. Comme il est dit p. 85: « En 1926 l’objet surréaliste tente d’égaler la puissance magique de l’objet sauvage ». Emmanuel Guigon et Georges Sebbag insistent sur le rôle fondamental de Salvador Dalí « tant sur le plan théorique que pratique », et sur celui de la Main à plume avec leur « enquête sur l’objet » de 1943. Ayant tardivement connu cinq des protagonistes, Noël Arnaud, Jean-François Chabrun, Boris Rybak, André Stil et, évidemment, Édouard Jaguer, j’ai été sensible à cette nouvelle focalisation sur un mouvement fort important, et par trop négligé par les historiens du surréalisme. On trouvera aussi dans ce livre des réflexions pertinentes sur Hobbes, sur Georges Bataille et sa société secrète Acéphale, sur les « objets échappés du rêve », p. 109 et p. 115, sur les personnages de Vous m’oublierez, pièce en 1920 d’André Breton et Philippe Soupault, Parapluie et Machine à coudre, tirés des Chants de Maldoror. La reproduction du coureur de Heisler, p. 90, avec sa prothèse de jambe en ressort à boudin produira un choc chez le lecteur d’aujourd’hui pour lequel l’œuvre représentée préfigure de manière saisissante le coureur Sud-Africain Pistorius sprintant sur des prothèses. Comme dans les autres ouvrages de Georges Sebbag, les auteurs de cet essai puisent surtout dans ce qui fut créé durant l’entre-deux-guerres, avec, par les allusions à la Main à Plume, une incursion dans la période 1940-1945. Mais l’après-guerre n’est pas oubliée, avec des évocations de l’exposition EROS de 1959. Peut-être aurait-on pu ajouter que Camille Bryen, proche du surréalisme, plaçait des objets dans les arbres, et que plusieurs des surréalistes d’après-guerre ont multiplié objets et boîtes, notamment le méridional Paul Duchein. Un livre donc des plus riches et des plus importants.

Jean-Pierre Crystal [Jean-Pierre Lassalle]

Références

Jean-Pierre Lassalle, « Emmanuel Guigon et Georges Sebbag, Sur l’objet surréaliste. Les Presses du Réel. 2013 », Cahiers d’Occitanie, nouvelle série n° 53, décembre 2013.