Jean-Pierre Lassalle recense Chassé-croisé Dada-Surréaliste

Catalogue Chassé-croisé Dada-Surréaliste 1916-1969. Éditions de Saint-Louis (Haut-Rhin 68300).

Une importante exposition se tient du 15 janvier au 1er juillet 2012 à l’Espace d’Art contemporain Fernet-Branca, 2, rue du Ballon, 68300 Saint-Louis, en Alsace, non loin de Bâle. Les deux commissaires en sont Georges Sebbag, et Auguste Vonville. Le premier dont nous parlons par ailleurs, philosophe de formation, Georges Sebbag, fait une brève présentation intitulée « Un collage dada-surréaliste » où il rappelle l’origine controversée du mot Dada qualifiant le mouvement lancé par Tristan Tzara (mot choisi en ouvrant au hasard un dictionnaire, ou bien, emprunt à Jules Verne qui nomme Dada l’autruche de son roman L’Étoile du Sud), et l’origine, beaucoup plus certaine, du mot Surréalisme utilisé pour la première fois par Apollinaire en 1917.

Les dadaïstes et les surréalistes ayant pratiqué la technique et l’art du collage, Georges Sebbag extrapole hardiment en présentant l’Exposition Fernet-Branca comme étant, elle-même, un collage, par extension, pourrait-on dire. Et il file l’image, en observant que la rencontre de plusieurs dans un groupe a quelque chose d’un « collage passionnel », et que le hasard desdites rencontres pourrait être qualifié de « collage temporel ». Ce sont jeux de virtuosité jouant sur les dénotations et les connotations, mais ils permettent d’entrer plus avant dans le thème et le sujet de cette exposition. On retiendra surtout une phrase : « le mouvement Dada (1916-1925) et le mouvement surréaliste (1919- 1969) sont rivaux et complémentaires ».

Une première section réunit les œuvres de Giorgio di Chirico et de son frère Alberto Savinio, de Paul Klee et d’Henri Michaux (même s’ils sont toujours indépendants, sans intégrer le groupe surréaliste), Francis Picabia et Pierre Roy (Picabia, très créatif, mais inégal ayant été dadaïste, puis surréaliste, considéré comme un des précurseurs de l’art abstrait, Pierre Roy, né en 1880 à Nantes, ville magique, et donc à ce titre, l’aîné de presque tous, est inconnu du grand public, même cultivé. C’est une excellente idée de ne pas l’avoir oublié dans cette Exposition). Une deuxième section est entièrement dédiée à Dada, de Jean Arp, à Tristan Tzara l’initiateur, avec Camille Bryen que nous avons connu aux côtés d’Édouard Jaguer et de son mouvement Phases en 1959-60 et qui avait des éclats de rire inextinguibles et tonitruants. La troisième section expose les artistes du premier cercle surréaliste, avec Dalí, Max Ernst, Magritte, Miró, Tanguy, et les poètes André Breton et Philippe Soupault. Parmi eux, aussi Georges Malkine, avec une étonnante toile de 1927, Émotion (p. 42), représentant une fenêtre ogivale fermée par un fer à repasser, parfait exemple d’une peinture-image poétique surréaliste. Les concepteurs de l’Exposition filent la métaphore du cercle, avec une nouvelle rubrique : « le cercle s’agrandit ». Et l’on voit apparaître des œuvres de Victor Brauner, de Jacques Hérold, de Roberto Matta, que nous avons connus tous trois dans notre jeunesse. Quant à Hans Bellmer, célèbre par les variations sur sa « poupée » et ses admirables dessins érotiques, il fut aidé dans sa retraite tarnaise, durant la Guerre, par notre frère l’avocat Me Georges Alquier qui s’occupa de son divorce et fut payé en monnaie d’artiste, par des dessins et albums. Le fils de Mr Alquier, Jean-François étant lui-même décédé, que sont devenus les dessins de la collection Alquier ? Si Bellmer, dans le Tarn, était un peu écornifleur, par la faute des temps troublés, son homologue de l’Aude, tapeur impénitent, était l’« abbé » Jean Genbach, faux sataniste, mais vrai parasite … Nous avons une préférence marquée pour les toiles d’Hérold, dont l’une, intitulée Le Grand Transparent (p. 75) renvoie au très beau mythe d’André Breton publié dans les Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non de 1942 (Breton, Œuvres complètes, Pléiade III, p. 14-15).

Et la toile de Kurt Seligmann (p. 83), Witches (Sorcières), fort belle, nous renvoie irrésistiblement aux sorcières de Macbeth, mais aussi au délicieux film de René Clair, I married a witch (traduit par Ma femme est une sorcière) avec la fascinante Veronika Lake. La toile Éve (p. 86) de Georges Hugnet, avec l’immense pomme, nous fascine car elle est comme une illustration de la phrase poétique si singulière d’Henri Michaux : « quand j’arrivai dans la pomme, j’étais glacé ». Alors que tant de critiques cantonnent exclusivement le surréalisme dans l’entre-deux-guerres, une rubrique, heureusement, s’intitule « après 1945 », période très féconde où s’affirment de nouveaux artistes. Pierre Alechinsky, du mouvement Cobra, Enrico Baj, du mouvement Phases et l’énigmatique Serpan, mort mystérieusement dans les Pyrénées et les membres du groupe surréaliste stricto sensu comme Robert Benayoun, surtout connu comme cinéaste et cinéphile thuriféraire de Jerry Lewis. C’est chez Benayoun, un des rares à avoir alors un poste de télévision, qu’André Breton alla regarder l’émission sur les Cathares de Claude Santelli. C’est Benayoun qui essayait, en vain, de pousser André Breton à lire les romans de Lovecraft. Adrien Dax, que nous avons connu de 1959 à 1979, date de sa mort, fut le surréaliste de Toulouse, grand ami de Breton et de Benjamin Péret. Ingénieur au Génie Rural, il avait une maîtrise extraordinaire du dessin, et une très vive intelligence. Durant sa captivité en Allemagne dans son stalag, il y avait les Ennéades de Plotin qu’il lut et relut inlassablement. Sa culture était immense. On commence seulement à mesurer l’importance qu’il a eue dans le Surréalisme. Quant à Simon Hantaï, au visage sombre et tourmenté, ses œuvres étaient saisissantes, et il fut chargé de l’illustration d’un numéro de Médium, la revue dirigée par Jean Schuster, qui se voulait et se voyait « diadoque » d’André Breton, statut qui lui fut furieusement contesté, ce qui conduisit au collapsus final du groupe, sans que cela signifiât la fin du Surréalisme sempervivum et ce, mondialement. Dans cette cohorte brillante, Jorge Camacho, féru d’ésotérisme, et grand ami de Charles Jameux et de Georges Sebbag, Jean-Claude Silbermann dont Radovan Ivsic admirait le patronyme signifiant « l’homme d’argent », plasticien créatif, modeste et discret que nous avons connu et apprécié, un des rares survivants du surréalisme d’après-guerre. En revanche, nous n’avons pas connu Claude Tarnaud dont Jean-Louis Bédouin, très proche de lui, nous a beaucoup parlé, et qui a écrit de beaux poèmes, notamment sur l’agate, car Tarnaud aimait les cristaux. Il est présent dans l’exposition par une étrange toile de 1962, Il est midi moins 3. La rubrique suivante s’intitule « Ésotérisme et folie » regroupant des peintres assez différents, ce qui rend l’assemblage un peu précaire, et assez peu justifié, car Crépin le naïf n’a guère à voir avec Maurice Baskine, vrai ésotériste nourri des sciences traditionnelles.

L’importance des femmes dans le surréalisme (et pas seulement comme muses, inspiratrices, égéries) est soulignée par l’impressionnant ensemble de « Seize femmes surréalistes ». Parmi elles, Bona de Mandiargues dont nous fûmes, dans notre jeunesse, le soupirant, Aube Elléouët, la fille d’André Breton joliment nommée par son père « Écusette de Noireuil ». Jacqueline Lamba sa mère, dont nous émeut toujours le buste nu photographié par Man Ray, Meret Oppenheim que nous avons connue, artiste puissante et créatrice, Mimi Parent, épouse de Jean Benoît, femme de grand savoir et de grand raffinement, Toyen, qui ne parlait quasiment pas, et dont la tenue vestimentaire faisait se poser une question à Édouard Jaguer : « II ou Elle ? » Elle, de toute évidence, Maria Cerminová, aux admirables toiles dont l’une, évoquant Sade, Au château Lacoste nous a toujours profondément ému. Dorothea Tanning, qui vient de mourir à 101 ans, Remedios, l’épouse de Benjamin Péret, il faudrait citer toute la cohorte.

Un des tableaux les plus étonnants est (p. 125) Festa, de Kay Sage, l’épouse du non moins étonnant Yves Tanguy, établi aux États-Unis. Un sort est fait aussi aux photographes, Denise Bellon, qui a photographié le groupe surréaliste au Désert de Retz (photographies visibles au Fonds Denise Bellon, 18, galerie Véro Dodat 75001 Paris), a laissé de beaux portraits de Tanguy, de Duchamp et tant d’autres. Elle avait connu Joë Bousquet, le reclus de Carcassonne, en 1946 et 1947. Man Ray figure, évidemment, et nous avons le souvenir de l’avoir vu jouer aux échecs rue Mouffetard avec Hans Bellmer. Quant à Brassai, il ne fit pas partie stricto sensu du groupe surréaliste, tout en étant proche de Dalí et de Prévert. Manque à cet ensemble Roger van Hecke qui photographia aussi le groupe surréaliste au Désert de Retz. En marge aussi, divers artistes comme Paul Delvaux, bien connu par ses femmes nues dans d’étranges paysages urbains, Félix Labisse, souvent, et à tort, minimisé, alors que l’exposition présente de lui un magnifique tableau Le Rendez-vous aux Baux (p. 167). Chaque artiste présent a droit à une notice biographique. Catalogue vraiment exceptionnel qu’il faut avoir, à défaut de pouvoir faire le voyage en Alsace qui s’imposerait.

Ariel-Pelléas Serain [Jean-Pierre Lassalle]

Références

Jean-Pierre Lassalle, « Catalogue Chassé-croisé Dada-surréaliste 1916-1969 », Cahiers d’Occitanie, nouvelle série, n° 50, juin 2012.