aa 340 Guerre et paix : le Mémorial de Caen    

Couverture l’Architecture d’aujourd’hui n 340

Remontons un peu en arrière. En 1984, Pierre Nora publie Les Lieux de mémoire, le premier d’une série de sept volumes renouvelant l’histoire de France, en particulier sous l’angle des symboles et des monuments, du territoire et du patrimoine, des archives et des hauts lieux. On se souvient aussi que l’esprit de commémoration a soufflé sous les deux septennats de François Mitterrand et qu’il a atteint son point culminant lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française. Durant toute cette période on n’a cessé d’attribuer à la Déclaration des droits de l’homme une valeur fondatrice et d’invoquer ce qu’il est convenu d’appeler le « devoir de mémoire ». C’est dans ce contexte que le 6 juin 1988 a été inauguré par François Mitterrand le Mémorial de Caen, un lieu de mémoire convoquant l’histoire. Le Mémorial, un puissant parallélépipède conçu par l’architecte Jacques Millet et enfoncé sur une hauteur rappelle que la ville de Caen a été détruite lors des bombardements de juin et juillet 1944. Mais il abrite, et c’est là sa fonction pédagogique, un musée d’histoire consacré à la Seconde Guerre mondiale.

Le Mémorial occupe un site entièrement aménagé. On y accède, côté nord, par une esplanade. Il surplombe, côté sud, des jardins et un plan d’eau. On sent que l’archéologie est un révélateur de l’histoire. À l’extérieur, on le constate, depuis la vallée, avec la roche mise à nu et l’affleurement de la façade. À l’intérieur, le contraste paraît saisissant entre la surface et les sous-sols, entre le vide du grand hall et le parcours initiatique du musée souterrain. Enfin, l’aménagement de la galerie des prix Nobel de la Paix, au plus profond du bâtiment, juste à l’emplacement du poste du commandant Richter, chef d’une division d’infanterie de la Wehrmacht, en administre la preuve.

Le Mémorial raconte de façon minutieuse et sensible la guerre. Mais il entend aussi témoigner pour la paix. C’est tout le sens de l’extension du bâtiment et de l’ouverture, le 21 mars 2002, de nouveaux espaces. Une fois de plus la relation entre la surface et la profondeur est parlante. La mise en scène de la paix passant par une relecture de l’histoire depuis 1945 et une approche réflexive des conflits contemporains, il faudra  aller en sous-sol pour examiner un Mig 21, puis remonter en surface et à la lumière du jour pour aborder les problèmes de la paix.

La muséographie est ambitieuse et originale. Mais c’est peut-être là où le bât blesse. Arrêtons-nous aux six kiosques, ou plus exactement aux six tipis suspendus exposant chacun les spéculations sur la guerre et la paix d’un grand courant de civilisation. Un doute nous traverse l’esprit. Si les idées sur la guerre et la paix sont restées longtemps opératoires à l’échelle d’une région ou d’une religion, les États modernes affrontent depuis plus d’un siècle une histoire planétaire où les conflits ne peuvent être pensés qu’à nouveaux frais. Le visiteur est invité à prendre connaissance de thèses qui pour la plupart appartiennent à une tradition disparue ou en perte de vitesse. D’ailleurs l’exposé de ces idées sous forme d’un dialogue entre un philosophe et un sceptique semble assez curieux, quand on s’aperçoit que le philosophe est un sacré dogmatique et le sceptique un rationaliste bon teint. Pour le coup, six authentiques philosophies, dont le Projet de paix perpétuelle de Kant, ne seraient-elles pas plus éclairantes ?

Pour un architecte faire tenir ensemble le symbole de la mémoire et l’instruction de l’histoire relève de la gageure. Mais à quelles prouesses seront tenus scénographes et muséographes, si la transformation d’un mémorial de la guerre en institut de recherche pour la paix représente plus un acte de foi que de raison ?

Georges Sebbag

 

Références

« Guerre et paix : le Mémorial de Caen », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 340, mai-juin 2002.

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