aa 353 Un vouloir-vivre constructeur

Couverture l’Architecture d’aujourd’hui n 353

Catalogue Vouloir, Lille, 1925. Textes de G. Fabre, S. Férey, J.-E. Grislain, R. Klein, S. Lemoine, D. d’Orgeval, N. Surlapierre et D. Szymusiak. Coédition musée Matisse (Le Cateau-Cambrésis) et éditions Snoeck (Gand), 2004, 212 p., 21,5 x 29,7 cm, 200 ill. couleur et N & B.

Pédagogues et pacifistes, épris de poésie avec un goût marqué pour les arts plastiques et l’architecture, Émile Donce-Brisy et Charles Rochat fondent en janvier 1924 à Ronchin-Lille la revue Vouloir, dont le sous-titre est déjà tout un programme : « Organe constructif de littérature et d’art moderne », et dont le manifeste inaugural proclame : « Nous voulons vivre ». Cette revue introuvable, tombée dans les oubliettes de l’histoire, vient de refaire surface au printemps 2004 grâce à une belle exposition et un catalogue remarquable que le musée Matisse du Cateau-Cambrésis a consacré à la revue ainsi qu’aux peintres Del Marle, Kupka, Mondrian, Van Doesburg et Lempereur-Haut, qui ont émaillé la partie la plus éclatante de son histoire.

En effet, Vouloir a connu un véritable tournant lorsque Félix Del Marle, ancien futuriste et désormais laudateur de Kupka, a évincé Charles Rochat pour imposer une ligne néo-plastique à la revue. Ainsi ont pu être reproduits, phénomène assez surprenant pour une revue réputée de province, des textes et des œuvres de Mondrian, Van Doesburg et Vantongerloo. Au-delà de la peinture, l’architecture est mise en avant, spécialement l’architecture intérieure. En particulier, Mondrian signe un article incisif sur les relations intérieur / extérieur, intitulé « Le home la rue la cité ».

En fait, l’existence de la revue Vouloir durant les années 1920 devient moins paradoxale si on la rapproche des revues comme L’Esprit nouveau de Dermée, Ozenfant et Le Corbusier, Manomètre du lyonnais Malespine ou Cercle et carré de Seuphor et Torres-García, qui affichent pareillement une volonté constructrice et chérissent l’architecture. Il convient alors de se pencher sur ce vouloir constructeur allié à un bouillonnant vouloir-vivre.

On pourrait énoncer six principes régissant cette volonté plastique et constructive :

  1. Le vouloir constructif est l’expression combinée d’un élan créateur et d’un choix abouti. Toutefois c’est au tout au long de la phase d’exécution ou de réalisation qu’il donne sa pleine mesure. L’objet construit est d’ailleurs là pour témoigner du pouvoir d’emprise et d’extériorisation de la volonté constructive.
  2. Il y a une unité synthétique propre au vouloir et aux beaux-arts. Et c’est sous l’égide de l’architecture ou bien encore de la peinture que tous les arts, y compris les arts décoratifs, peuvent remporter la palme de la beauté dans la sphère de l’utile.
  3. Les axiomes et les schèmes géométriques qui sont au cœur au développement des sciences et des techniques concourent aussi au dévoilement des beaux-arts.
  4. La modernité, ou l’accent mis sur le présent, s’impose comme mot d’ordre, surtout après le déchaînement de la pulsion de mort durant la Grande Guerre.
  5. Les meneurs de revue ne sont pas coupés du peuple. Ils ont une haute mission sociale qu’ils convertissent sous diverses formes de populisme et de pacifisme.
  6. La fédération des revues à tendance constructiviste semble une nécessité, à l’échelle de l’Europe et du Nouveau Monde. Cela se manifeste par une intense circulation des projets, des graphismes et des noms.

Il n’est pas inintéressant de noter que cet esprit nouveau constructeur, bien qu’ayant un fort penchant pour le concret, finit par se résoudre dans l’abstraction. Ou pour le dire autrement, durant les années 1920, l’architecture, ou plutôt la théorie constructive, est comme le paradigme caché des élans créateurs qui se déchaînent alors au cinéma, dans le jazz ou chez certains peintres. Ce paradoxe, ou ce secret, une histoire vivante peut aller le débusquer dans Vouloir, une revue éclose dans certains confins du nord de la France.

Georges Sebbag

Références

« Un vouloir-vivre constructeur », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 353, juillet-août 2004.

 

Un vouloir-vivre constructeur
Un vouloir-vivre constructeur