« Royaux, loyaux, joyaux ! »

Max Jacob est né à Quimper le 11 juillet 1876. Juif converti au catholicisme, il mourra le 5 mars 1944 au camp de Drancy. En 1924, au moment où commence cette correspondance, Max Jacob a déjà beaucoup roulé sa bosse. À partir de 1915, une terrible guéguerre l’oppose à Pierre Reverdy sur la paternité du poème en prose moderne ; ainsi, au printemps de 1917, à l’annonce d’une souscription pour Le Cornet à dés de Max Jacob, Reverdy brûle des manuscrits de son rival ; Apollinaire s’en fait l’écho lors de la représentation des Mamelles de Tirésias avec une pancarte sur l’incendie des établissements Jacob. En fait, durant la Grande Guerre, Max Jacob est très présent dans des revues comme Sic d’Albert-Birot ou Nord-Sud de Reverdy. En 1919 et 1920, il est accueilli à sept reprises dans Littérature d’Aragon, Breton et Soupault. Le Disque vert de novembre 1923 est consacré à Max Jacob : Cocteau, Soupault et Supervielle participent à l’hommage.

Un jeune poète, singulier et mystique, ne peut qu’adresser ses vers à Max Jacob qui vit en retraite au monastère de Saint-Benoît-sur-Loire. Gangotena est accueilli triomphalement, comme poète et comme catholique. En 1945, paraîtra Conseils à un jeune poète, un ouvrage posthume de Max Jacob. Dans ses lettres à Gangotena, Max Jacob se plaît à donner une série de conseils du genre « descendez en vous-même », « travaillez », « inventez », tout en ne manquant pas de se rétracter : « n’écoutez pas les conseils ». Il ira jusqu’à affirmer qu’il n’a rien à apprendre à cet Équatorien, favori du Saint-Esprit, qui a le don des langues et que bientôt le jeune poète lui donnera des conseils. Le 28 mai 1924, il lui soumet le poème « Limbes » qu’il vient d’écrire.

Des noms apparaissent qui permettent de situer l’entourage de Gangotena : Supervielle, Michaux, Morhange mais aussi Jourdain, Bar, Reverdy et Cocteau.

Quiproquo : Gangotena offre anonymement un ananas à Max Jacob, qui remercie son habituelle bienfaitrice. Cette dernière, une princesse, se confondra en excuses et lui expédiera une boîte de bonbons.

Qui préfacera le futur recueil de Gangotena ? Morhange avance le nom de Max Jacob, qui n’est pas du tout d’accord. La préséance exigerait que ce soit Supervielle, le découvreur, « l’inventeur » de Gangotena. Ou alors il faudrait que Supervielle lui-même en fasse la demande à Max Jacob. Une autre idée s’impose : Gangotena préfacé par un écrivain de talent de sa génération, Joseph Delteil, par exemple ! Dernière solution, sans doute la meilleure : Gangotena n’a pas besoin d’être préfacé. Avant lui, Apollinaire, Max Jacob, Reverdy, Aragon ou Drieu La Rochelle n’ont pas eu recours à une préface.

Le pénitent de Saint-Benoît-sur-Loire succombait au charme des jeunes gens qu’il rencontrait. Dans une lettre de Morhange à Gangotena de l’automne 1924, il n’a pas manqué de dessiner une portée musicale et de glisser ce doux message à Alfredo : « à toi mon cœur ».

Le 5 janvier 1925, Max Jacob écrit à Gangotena : « Vos vers sont royaux, loyaux, joyaux ! Vastes, astres, piastres, pilastres et Zoroastre, fastes, chastes, aristocrates, acrobates, Goliath, amphithéâtres et opiniâtres. » Tous ces termes enlevés et consonants nous mettent sur la piste d’une poésie royale et cosmique, chaste et faste. Le poème « Chemin » dédié à Max Jacob et publié dans Philosophies n° 2 du 15 mai 1924 s’achève sur cette strophe où se manifeste un sens de la topologie et de la dynamique :

Grenouilles,
                        vos cuisses survivent :
Tremplins des mares, envoyez-moi
 – mes regards s’enroulent autour du monde –
Au monastère de Saint-Benoît.

Georges Sebbag

Références 

Publié  dans [Michaux, Supervielle, Morhange, Max Jacob, Marie Lalou] Sous le figuier de Port-Cros, Lettres à Gangotena, Jean-Michel Place, 2014.