Marrakech-Paris-Paris-Marrakech ou l’urbanisme déplacé

 

 

Couverture Nomades et vagabonds

« Étrangler l’étranger »

Marcel Duchamp

Les Gaulois aimaient le jeu de l’Oie. En 1954 nous autres, gamins d’Arset-el-Maach, assis en tailleur autour du carré magique Monopoly, hypothéquions des immeubles de la rue de la Paix pour racheter une des quatre gares; celle qui faisait la nique aux points cardinaux. J’avais en poche un fameux titre de propriété, la carte verte de l’avenue de Breteuil.

Le MPPM, à sa façon une entreprise de messageries, est un déplacement de lieux, un songe de vagabond, un cataplasme posé sur un genou à égratignures, un sport sous cloche pratiqué par la génération montante, au faîte de son déclin.

Ni souvenir avec force catharsis ni oubli en avalant des spaghettis. Renforcement des points d’appui, fuite éperdue dans l’avenir, résolution des inadéquations mentales. Il n’est pas nécessaire d’être né à Marrakech pour faire un tour à Paris, ni à Paris pour se foutre de Marrakech. En résumé provisoire, le MPPM (Marrakech-Paris-Paris-Marrakech) se pratique la nuit : présence d’une sage-femme en cas de chute.

De mon temps, on montait dans le train Marrakech-Casablanca, dans le paquebot pour Marseille, puis dans l’express Marseille-Paris. Aujourd’hui, c’est direct. À la rigueur, on prend la voiture et on passe par l’Espagne. Écrire en France nous enivrait, on le faisait exceptionnellement. Recevoir une carte, une breloque de Paris, quelle fête ! Cela s’inscrit sur la petite ardoise du MPPM, la grande par contre, celle des historiens, a déjà tiré des clichés et des films : Winston Churchill, auprès de son chevalet printanier saisit le vert olive d’une palmeraie alors qu’Orson Welles et Hitchcock trempent leurs pinceaux bruns et coloriés dans la citerne portugaise de Mazagan ou dans les cuves des teinturiers. Écrasez votre cigarillo, les marrakchis fument peu et boivent encore moins.

Le rempart de Bab-Agnaou

Quand je me mesurais aux remparts faits de boue séchée et de gros cailloux, je levais la tête et j’apercevais des taches, des fissures. Si je touchais et secouais cet épais mur, de la poussière brune s’échappait des trous. Je savais que des lézards et toutes sortes d’insectes s’incrustaient là. Que recelaient les remparts ? Des nids et des pièges. Les créneaux s’effritaient, les pâtés diminuaient de volume. J’étais inquiet et j’interrogeais les crevasses, les entailles. Quand le vent soulevait un nuage de poussières je fermais les yeux. J’étais enveloppé dans un brouillard cinglant qui ne me protégeait pas. Poursuivi par les débris de mon compagnon je ne m’accrochais pas à lui, comme lorsque je le contemplais : je l’examinais, je savais que ce mur épais pouvait m’offrir des refuges, me servir de chambre à coucher, me mener à des jardins, des racines et même à des animaux domestiques. D’abord il était vieux, ensuite il était debout. Continu certes mais avec quelques trous de mémoire. Dans ces échancrures – j’étais silencieux, le vocabulaire me faisait défaut – se regroupaient mes craintes et mes espérances. Peut-être que les cigognes qui trônaient dans une tour lointaine me laisseraient me promener sur le chemin de ronde. Je ne projetais pas une telle escalade puisque ni moi ni le mur n’étions solides. De plus comment conserver l’équilibre là-haut ? D’ailleurs retenaient mon attention, à proprement parler, les boursouflures et les éclatements de mon ami bedonnant. Ne croyez pas que c’était une grande personne, sujette aux maladies de l’hiver ou de la nuit ; mieux, c’était un géant dont les bras démesurés protégeaient la ville. J’aimais sa couleur, ses éclaboussures, sa mine imperturbable. Il était donc fragile, d’une épaisse fragilité. Puisque je me mesurais à lui, je constatais qu’il était fait de pierres et de poussière et que j’étais fait d’os et de chair. Il me dominait mais il se tassait avec l’âge. Il était profond, voilà ce qui m’intriguait. Je ne comprenais pas qu’on puisse bâtir, sans ostentation, un mur d’une telle épaisseur. Les bâtisseurs oubliés, morts certainement auraient pu revivre si seulement j’avais fouillé dans mon rempart, si j’avais pu dégager quelques squelettes endormis. Les hommes ne l’habitaient plus, seuls des morts pouvaient y faire leur sieste. Je crois bien que je pensais trouver là un cimetière, mais d’animaux. J’étais exigeant : je voulais qu’ils fussent conservés, avec leur fourrure, leurs ailes, leurs pattes. Si par miracle je les avais découverts, ils auraient secoué leurs habits empoussiérés. Ils auraient, pour moi, formé une parade. Des dromadaires, des chiens, des sauterelles, des pique-bœufs. Bien entendu tout se serait déroulé dans les entrailles des remparts. J’aurai été le seul spectateur. Quand j’avais faim j’arrachais des fruits aux branches qui poussaient chez mon ami, j’arrachais des herbes qui formaient la limite entre lui et le sol. J’avais alors la notion de fondation, je n’ignorais pas qu’il pénétrait sous terre. En plein air c’est-à-dire sous les rayons embarrassants du soleil, et dans les tréfonds de la terre, le rempart avait certainement la même consistance, une égale bonté. J’apercevais les blessures que personne ne pansait. J’apercevais les dessins que la grêle avait gravés sur ses parties hautes, j’apercevais les plis et les replis au sein desquels j’imaginais une porte d’entrée. J’apercevais à portée de mes mains des rides et des muscles. Je le touchais, je me salissais. Je m’enduisais de blanc, de rouge, de brun. Il était parfumé aux épices. J’éternuais. J’éternue souvent maintenant, et je pense à lui.

Le Quartier Latin

Tout le monde connaît le Quartier Latin. C’est un lieu qui ne ressemble en rien à ce qu’il a pu être. Les lieux nous trompent grossièrement : des rues, des maisons, des boutiques ne suffisent pas à conserver un lieu. Même les musées ne peuvent remplir leur rôle de conserveries.

Me promener au Quartier Latin devient impossible. C’était agréable il y a cinq ans. Se promener aujourd’hui c’est avouer sa solitude.

Je pourrais donner mille détails concrets. À vous de les imaginer, de les trouver.

À moi de suggérer que tous mes actes quotidiens n’échappent pas (à quoi ? à l’angoisse ? à la douleur ? à l’absurde ? à la question ? au masochisme ? à la délectation ? aux plaisirs vivement recherchés, curieusement planifiés ? non, ce n’est pas cela !) à une certaine conformité, à une pesante répétition, à une dérision de moi-même (l’humour).

Ces actes imbéciles, sublimes, grotesques, indifférents, froids, calculés, recensés, produits, grossis, éparpillés, trafiqués sont le résultat d’une multitude de forces. Certes ! Mais ils nous ressemblent, sont notre raison de vivre, nous appartiennent.

Le Quartier Latin pue l’essence, comme le quartier de Djema el Fna à Marrakech. Ici les pompes à essence, les boutiques d’accessoires d’auto, là les voitures rongent les trottoirs, les murs et le bitume. On pourrait dire que ça se comprend, que dans les deux cas il y a un afflux de curieux, de touristes, de fêtards : l’essence fait partie de l’atmosphère même. Je parlerai donc des gens eux-mêmes, que viennent: ils faire ? Acheter, manger, voir, danser ? Tout ce qui leur est offert là, un habitant de bidonville en a quelques prémices (poubelles, entassement, télévision).

Un fait nouveau au Quartier Latin, la solitude se distribue par paquets, par bandes. Auparavant, des individus pouvaient affronter le Quartier, seuls. Ils pouvaient se promener, regarder, draguer. Maintenant il faut être à cinq, à dix, à vingt pour traverser, quadriller le Quartier (est-ce une sorte de réponse à l’occupation policière ?).

Il n’y a plus personne. De nombreuses ombres se donnent la main achètent, s’embrassent distraitement. Est-ce la fin du Quartier ? Est-il en train de se fondre dans la Ville ? Comme le souhaitent les urbanistes, pour qui Paris est l’Un et le Multiple : l’Un – la capitale, l’ordre, le modèle ; le Multiple – la division à l’infini visant l’individu, c’est-à-dire autant de Paris semblables pour une poussière de Parisiens. À chacun son repas, son livre, .son plaisir, son travail rigoureusement définissables.

Vous savez qu’on peut faire entrer tant de visiteurs dans cette pièce ! Que tant d’orgasmes sont possibles et souhaitables !

Si vous interrogez une passante désœuvrée, désenchantée qui se promène en léchant les vitrines, elle vous dira qu’elle habite le quartier depuis longtemps, qu’elle y vit bien, ne s’ennuie jamais et qu’en tout cas n’y remarque aucun changement. Il y a fort à parier qu’elle se trompe, qu’elle ne pense pas aux parkings, aux angles froids des devantures.

Pensez à un couple non marié depuis quatre ans en train de se casser la figure. Le couple se coupe en deux, en quatre. Ils sont un frein l’un pour l’autre, se censurent, se font parfois la tête mais s’entendent merveilleusement. Le rapport entre le couple et le Quartier Latin ? Le temps passe sur eux, les transforme et ils résistent ; le couple éclate mais le Quartier s’appelle encore Latin. Pourquoi ?…

Le Juif errant

Sous la protection du drapeau français, je suis né à Marrakech. Au fait qu’est-ce qu’un protectorat ?  Une couverture, un fichu, une paire de draps où une veste à carreaux ? Les Français du Maroc hésitaient entre l’Amérique et l’Allemagne, comme tout Français d’alors. Les Juifs et les Arabes n’hésitaient pas, ils vivotaient, grandissaient, rapetissaient. On a dû m’inscrire aux services municipaux et régulièrement mes parents y retiraient une attestation d’existence, ce qui prouvait que je ne m’étais pas évanoui.

Les anciens quartiers

Si l’on en croit l’imagerie cinoche d’avant-guerre, les légionnaires et autres mokhazni s’engouffraient dans le quartier réservé comme dans une serre chaude. En acompte une brève orgie de ruelle où les doigts s’enfonçaient s’ils le pouvaient et les voilettes se dévoilaient sur des emblèmes au henné. Le quartier réservé : tendre écorce qui dissimulait une sève plus abondante, la Médina avec ses étendues propres et la jungle de ses dédales. Pas loin, le Mellah, quartier juif quadrillé de merciers, bonnetiers et épiciers. En excroissance, une aire de rencontre arabo-judéo-chrétienne, avec écoles, hôtels de standing, ateliers d mécanique et thé en gros. Enfin, au large, la palmeraie et ses jardins ;  un no man’s land d’où la Koutoubia s’élançait, flanquée d’un palais du gouverneur, de quelques murets – l’archéologie fouinait là pour quelques éclats de gargoulette – et d’une immense place où les cirques Amar et Bouglione plantaient leur tente et leur ménagerie, bien avant donc que le club Méditerranée n’y fasse évoluer ses éléphants de touristes. Le no man’s land long de deux kilomètres au moins, sillonné d’autobus rouges, donnait sur le Guéliz, ville fondamentalement européenne.

En somme, un quartier arabe avec une pelure réservée, un ghetto juif bien ceinturé et bouclé même par un cimetière, une aire d’échange que quelques arabes et surtout des Juifs habitaient pour respirer la fraîcheur des lilas, des voies rectilignes goudronnées et d’antiques remparts, enfin après une zone-tampon une ville française, confortable, implantée comme miracle, rosie à la pâleur terreuse des hauts murs de Marrakech.

Les corps sociaux installés se poussaient avec les égards d’une joyeuse bande d’enfants : « pouce ! » On s’accommodait du déploiement insolite des remparts prestigieux, en les effondrant un beau matin, par pan de mur entier, comme si une nuit d’orage les avait absorbés. Par ces brèches, une population processionnaire, juive en particulier, passait de l’autre côté, remontait jusqu’à l’avenue du bout du monde, celle qui finissait au Guéliz.

N’imaginez pas que ces gestations, ces écartèlements furent dramatiques. Une preuve : les calèches du bon vieux temps reliaient mieux qu’un moteur à vapeur les points d’air conquis par les excroissances modernes, judéo-arabo-chrétiennes.

Les nouveaux quartiers

Inutile de décrire l’urbanisme aérien, touristique et impérial de la Marrakech nouvelle, on peut consulter les dépliants. Un coup de jet met le Parisien moyen à la portée de repères vite appris : Ménara, Mamounia, place Djema el Fna. Et en battant les cartes de visite on lit : Terrain d’Aviation, Tennis de l’Oasis, Sanglier qui Fume, Casino central. Un détail significatif : Marrakech n’est pas ville à posséder un métro.

Le psychologue Maury

La pluie n’éclaircit pas les pierres noires de la capitale, pour qui débarque en 1956. Plus tard le Marrakchi bénit Malraux d’arroser chaque jour un coin de façade.

Les odeurs ne prennent pas la même direction : la vapeur qui s’échappe d’une grille de métro en emportant le ronflement d’un clochard ne se mêle pas à la fumée marocaine qui s’élève de la terre battue arrosée un soir de septembre.

Le lycée Mangin que je gagnais à bicyclette avec soudain un cataclysme dans le rétroviseur (oued en ébullition, fléau de sauterelles) parle petit-nègre au potache demi-pens qui rôde dans la cour grandiose du lycée Voltaire en repassant entre deux volutes d’huile de frites ses déclinaisons latines.

Au Sud on cultivait le sport, la religiosité, le travail, la famille. Au Nord on apprend à militer, à fuir comme la peste les géniteurs, à bosser tout en repoussant le réveille-matin (comme l’avait raconté le psychologue Maury) pour imaginer que s’agitent devant soi des grelots attachés aux plus belles jambes du Lido.

À l’arrière-plan

Les soucis ne se font pas de bile puisque les Beaucerons ont des ronds. Les fantasias du Glaoui n’égalent pas les frasques du Général. L’Anti-Atlas dont les remonte-pentes sont réputés fait siéger son député au Muséum d’histoire naturelle. Les graines de pastèque séchées, salées, craquent sous la dent des lycéennes, pignon sur roue avant. Ceux qui déprécient les Méridionaux exècrent les Espagnols, les Tangérois et encore plus les Marrakchis, d’extrême-sud.

Depuis que travail implique vacances, l’arrière-pays de Marrakech comprend entre autres choses deux jolies plages ventées, Mogador et Mazagan, gardées par des bombardes portugaises. Paris monte la garde en Île-de-France et lance des avant-postes à Deauville, au Touquet.

Le MPPM exige des sacrifices : on se donne à la petite sœur cadette de Ouarzazate, on illumine le Trianon au son des tartines beurrées. Créteil ou Évry s’équipent de mouches à merde, Khouribga phosphate ses trains de marchandises. Apres tout la société d’économie mixte franco-marocaine a des lettres de noblesse : les empires napoléonien et chérifien !

En marche arrière, on voit défiler très vite, l’Interdépendance dans l’intendance, la Révolution de 89, les coopératives et les PTT qui symbolisent l’institution institutrice par excellence, et le dernier flash, l’hospitalité marocaine qu’on ne peut nier quand on a quarante ans et le nez démaquillé.

Aime, pépée, aime ! La troupe est à vos ordres et sur vos arrières !

Le T dans l’O

L’urbaniste averti observe que sur la barre horizontale – légèrement centrifugée, il est vrai – de la ville indigène a poussé une artère verticale : un T renversé, une croix qui dissimule ses conquêtes. Paris par contre tourne en rond, tourbillonne de la périphérie au centre. Au fond des médinas on avale tout chaud le thé vert à la menthe ; les eaux endiguées de la Seine lèchent les boîtes vertes des bouquinistes et les coffres à suspension des automobilistes. Notre-Dame, dirait Marcel Duchamp, file la vérole-loterie au porteur d’eau, en versant dans son godet de la verroterie. Marrakech au phallus simplement dressé, Paris à l’ovule périodiquement fécondé. Le MPPM : Marie priez pour moi.

Les transfuges

Transporter Marrakech à Paris, pensée radical-socialiste. Pourtant assaisonnez la rue des Écouffes d’un Institut d’Art, saisissez l’ancien carreau des Halles avec la Porte des Lilas, vous obtenez un morceau authentique d’aire sépharado-chrétienne.

Le MPPM relie deux points de la terre sans emmêler les fils du fuseau horaire. Les terres sont devenues des ports, sans bordels; sans marée, sans criée, sans paillettes de sardines sur les quais, avec des clignotants pour déprimer les compressions, pour supprimer les expressions, avec les garanties vieillesse-jeunesse-participation-pertinence-marc de café-clichés en groupe-refuge en haute montagne-invalidité chantante, avec le dialogue entre enseignants lumineux et cinéastes parlants. Le MPPM, un corsage sous la djellabah, n’a rien de l’affront fait aux exilés, ni d’une tournée de la Comédie-Française chez les Sibériens. C’est une fâcheuse randonnée en pays conquis par on ne sait qui.

Boutiques et bureaux

M : les échoppes sont serrées les unes contre les autres ; corporations des ferblantiers, des ressemeleurs sur pneu, des ciseleurs, des marchands de safran et de girofle, des raccommodeurs d’histoires ; les impondérables mouches vert bleu que l’éventail en tresses de palmier caresse et disperse, passent un après-midi éternel avec le boutiquier qui ignore tout du bulletin météorologique et se plonge dans des songeries que l’ethnographe n’a sans doute pas encore relevées.

P : les bureaux s’étagent les uns sur les autres, assurances, armements, bourse du travail, clinique dentaire, pédagogie directive. Le personnel est appelé à voter pour désigner de nouveaux délégués et pour choisir le nom de baptême de la dernière promotion. On échange des impressions devant le dégoulinant distributeur à café.

P : l’Université menacée de l’extérieur tente de se légitimer en brisant les cloisons qui jadis soutenaient son ordre. Les mathématiciens se lancent dans la métaphysique, les biologistes crèvent le petit écran, les philosophes littératurisent, les lettrés se restructurent, les psychanalystes gagnent du terrain pour n’en point perdre, bref chacun s’occupe des affaires de son voisin et découvre ce que les autres savaient, comme ces routards entêtés qui partis d’un extrême-orient sautent successivement les haies qui les ramènent dans un extrême pays exécré, l’anarchie. On brûle sa dernière cartouche avant de se suicider.

M : ils accueillent avec leur amabilité légendaire tout ce qui est bon à emmagasiner, amérique, asiatique, soviétique, sans oublier les frères d’Afrique et d’Arabie. Peut-être que dans un patio misérable du Mellah, un p’tit guide marrakchi médite sur l’infinie grandeur de la boutique et imagine des solutions de rechange qui ne dureront pas le temps d’une rustine.

Qui a souri à l’autre, Marrakech ou Paris ?

Si les villes n’existent pas

Mais si les villes, les grandes et les moyennes s’entend, n’existent plus, la liaison M-P ou le trajet P-M a-t-il une consistance ?

Le MPPM est un jeu mental qu’on sert dans un verre de pamplemousse Pam-Pam. On s’éloigne des côtes de Floride, on coupe les racines quand les branches mortes pèsent un bon poids. Écarté de Marrakech, on n’y pense plus.

Mais qui sont ces clients d’hôtel qui tirent la chasse d’eau à Paris comme à Marrakech, qui fréquentent le couscous et les pubs enfumés ? Le plus beau parcours du combattant ne se fait-il pas sur les cases du Monopoly – spéculation enfantine sur la capitale monopoliste ?

Les villageois vivent dans les villages. Dans les villes habitent les villiens qui n’entendent guère le frisson des places et des rues, des trottoirs et des terrains vagues. La tranquillité des gares, après dix heures le soir. Et même Paris la nuit a un air marrakchi qui ne trompe pas les Parisiens, une oasis de réverbères. Marrakech le jour dessert son bureaucrate qui mange à toute vitesse le repas de midi. Les villes n’existent plus, non parce qu’elles s’ouvrent outrageusement aux autres, se déplacent intactes ailleurs, mais parce que chaque mètre carré a un prix nationalo-international qui en fait sa géométrie plane.

Le MPPM existe

Penser à une ville quand on se trouve dans une autre, quoi de plus pénible ? Ô urbanalyste, chasse mon angoisse !

Et puis le MPPM aurait pu devenir le MJJM (Marrakech-Jérusalem : quels embarras dans la circulation !) ou nous épater avec le Paris-Brest. En fait l’idée du MPPM revient à faire se rencontrer deux villes qui à un certain moment – il faut le reconnaître – n’allait pas l’une vers l’autre. La littérature a fourni de nombreuses évocations où Rome transpirait dans Tombouctou, Bordeaux s’attaquait à Toulouse et Toulouse à Carcassonne, les blancs taxés à Moscou s’asseyaient sur les bancs des taxis de Paris, Paris était en France et la France dans le monde : pour tous ces cas, la communication était désirée, pratiquée ; il s’agissait d’un MPPM sans le savoir, tout en sachant que Toulouse, Paris, Rome et Tananarive, cités, villes respectables, étaient des grandes personnes à qui on ne la faisait pas.

Or le MPPM comme jeu et enjeu montre (! !) que Marrakech n’est pas faite pour Paris, ni Paris pour Marrakech, et pourtant des zones de ressemblance, d’accointances, de marchandage prolifèrent bon gré mal gré. Viol des deux villes, sans jouissance semble-t-il,

La fiction du MPPM pourrait aider à installer une réalité alors qu’une autre déménage.

Pour l’instant vérifiez vos passeports (MPPM : Military Police, Police Militaire).

Le jumelage des villes n’est que pour demain.

Georges Sebbag

 

Références

« Marrakech-Paris-Paris-Marrakech ou l’urbanisme déplacé », in Cause commune, « Nomades et vagabonds », 1975/2 (série parue en 10/18).