Breton et le cinéma [Extrait]

Breton et Le cinemaPréambule

 

Nés avec le cinématographe, les futurs surréalistes mènent de front, durant la Grande Guerre, l’expérience des tranchées et celle des salles obscures. En octobre 1926, au moment où il rencontre Nadja Delcourt, André Breton va délaisser son rôle de spectateur au profit de celui d’acteur et de réalisateur. Mais fasciné par la puissance des durées filmiques, il ne manquera pas d’engager une réflexion sur les temporalités cinématographiques. Le poète aborde ainsi le cinéma sous trois angles. Il adopte le point de vue frontal et contemplatif du spectateur. Il revêt la casquette du metteur en scène, crie « Moteur ! » et brasse des plans et des séquences. Il interroge cette prouesse technique et développe une spéculation en liaison avec sa propre philosophie de la rencontre.

À Nantes, au printemps de 1916, André Breton et Jacques Vaché inventent la cinéphilie du zapping ; ils passent d’une salle à l’autre sans se soucier du titre ou de la nature du film ; ils vibrent devant Musidora, la vamp au collant noir du ciné-feuilleton Les Vampires de Louis Feuillade. L’année suivante, ils dînent et trinquent en pleine projection d’un film dans un cinéma parisien. D’emblée, Breton croit au génie photogénique et provocateur du cinéma qui, à l’instar de la photographie et de la réclame, représente un défi pour les arts et la poésie. Sa fréquentation des salles de cinéma suit les fluctuations de son éros amoureux. Il peut y aller seul mais il peut aussi accompagner la Nantaise prénommée Alice ou encore Lise Meyer pour voir le documentaire Les Merveilles de la mer.

Breton franchit le pas quand il publie Nadja, un récit qu’il enrichit d’une cinquantaine de photographies ou de documents. Il vit désormais de part et d’autre de la caméra. Il s’aperçoit que la quête surréaliste des durées automatiques n’est pas sans rappeler le tournage et le montage des durées filmiques.

Georges Sebbag

 

Références

« Préambule » ouvre Breton et le cinéma, collection « Le cinéma des poètes », Nouvelles éditions Jean-Michel Place, 2016.