Georges Sebbag / Le génie de l’amour

Georges Sebbag, André Breton – L’Amour-folie, Paris, Jean-Michel Place éditions, janvier 2004.

Ce texte, sur André BretonL’Amour-folie de Georges Sebbag, a été écrit pour Ça Presse, le « bulletin » publié à Villeurbanne par URDLA, sous la direction de Max Schoendorff, que nous saluons au passage (207, rue Francis-de-Pressensé, 69608 Villeurbanne).

Le surréalisme et la vie des plus notables de ses participants ont inspiré un nombre considérable d’histoires, rarement bien intentionnées. André Breton n’est, la plupart du temps, guère épargné, non seulement dans les biographies qui lui ont été consacrées (que l’on pense au lourd pensum de Mark Polizzotti) mais surtout dans celles de ses amis, comme s’il était impossible d’écrire sur René Crevel, ou Robert Desnos, ou Paul Éluard, ou Georges Bataille, sans régler, au passage, son compte au « Pape du surréalisme ». C’est encore plus caricatural quand il s’agit de dénoncer le sort « ignoble » fait aux malheureuses compagnes des surréalistes. On se souvient qu’il n’y a pas si longtemps une soi-disant spécialiste des « femmes surréalistes » n’hésitait pas à falsifier délibérément un des plus beaux poèmes de Breton, « Sur la route de San Romano », pour lui faire dire très exactement le contraire de ce qui y était écrit, et c’est ainsi que l’on découvrait avec stupeur que, pour les surréalistes, « l’acte de poésie et l’acte d’amour étaient incompatibles », en oubliant la suite : « avec la lecture du journal à haute voix »[1].

Mais l’amour ET la poésie, l’amour fou, l’amour passion, l’amour folie : c’est ce qui éclate dans André Breton – L’Amour-folie, le livre que Georges Sebbag consacre à Breton et aux quatre femmes qui font partie de sa vie entre sa rencontre avec Nadja Delcourt, « l’âme errante », en octobre 1926 et la rupture définitive avec celle – Suzanne Muzard, « X » – qui est entrée avec fracas dans sa vie, au point d’incarner pour lui « le génie de l’amour » et de lui inspirer L’Union libre – au moment où il écrit les dernières pages de Nadja, au moment où, comme il l’écrira à Simone, « mon honneur tout entier, ma gloire, mon génie sont en jeu ».

Si André Breton – L’Amour folie est plus beau, plus fort et infiniment plus bouleversant que les diverses histoires du surréalisme, c’est que ce n’est pas l’œuvre d’un historien : ses personnages sont vrais, sont vivants et s’expriment à la première personne. Sebbag a pu avoir accès à des documents de toute première main et aux correspondances essentielles : les lettres de Breton à Simone, sa première femme ; ses lettres d’amour (malheureux) à Lise Deharme, la « dame aux gants bleus » ; le témoignage direct et les « confidences » inédites de Suzanne Muzard et, enfin, les lettres et les dessins de Nadja conservées par Breton et aujourd’hui consultables sur le DVD de la vente Breton, grâce à Aube Elléouët-Breton. Bien au-delà des polémiques qui ont entouré la dispersion des archives Breton, ce geste lui assure, à jamais, notre gratitude. Mais consulter ces documents ne suffit pas. Encore fallait-il pouvoir remettre à leur place toutes les pièces du puzzle : le résultat est sidérant. Tout prend sens. Pour la première fois peut-être, nous assistons, jour par jour, presque heure par heure, aux irrésistibles élans du cœur, aux bouleversements et aux tempêtes qui ne cessent d’assaillit « la barque de l’amour ». Les suppliques de Nadja, ses mots d’amour, ses lettres éperdues, sa folie nous déchirent le cœur comme, jadis, celui de Breton. Simone cherche à comprendre et à accepter avant de se révolter. Lise Deharme donne ses gants, mais ne s’abandonne pas. Comme dans le plus vertigineux des films d’aventure et d’amour, Breton rassemble ses amis à la gare de Lyon pour intercepter Emmanuel Berl et Suzanne Muzard. Plus tard, il prendra l’avion d’Ajaccio pour demander à Suzanne – en présence de Berl – la permission de lui dédier Nadja, qu’il nous sera désormais impossible de relire sans tenir compte de toutes ces vertigineuses révélations. Un des plus grands livres du monde – loin d’y perdre ce qui le rend merveilleux – s’en trouve, si c’était possible, encore plus chargé d’émotion.

Dans son testament, André Breton demandait que l’on ne publie pas sa correspondance avant 50 ans, ce qui nous amène jusqu’à 2016. Les lettres citées – parfois très longuement – par Georges Sebbag donnent plus qu’un aperçu de ce qui attend ceux et celles que le temps épargnera jusqu’à cette échéance.  

Dominique Rabourdin

Références

Dominique Rabourdin, « Georges Sebbag / Le génie de l’amour », Infosurr, Le surréalisme et ses alentours, n° 56, mars-avril 2004.

Notes

[1] Cf. Georgiana Colvile, Scandaleusement d’elles, « 32 femmes surréalistes », Paris, Jean-Michel Place éditions, 1999.