Produire et séduire

Après avoir confectionné une dizaine d’ouvrages, un écrivain se pose forcément la question de la valeur de son travail. La plupart des écrivains gagnent leur vie en dehors de leurs bouquins. Ils ont beau publier des millions de signes sur papier blanc, leur production est un simulacre, une parenthèse, un rêve qui flotte, un ensemble vide de vrais lecteurs. Pour se faire valoir, l’écrivain doit publier et le contenu de ses textes perd peu à peu toute signification. On produit pour publier. Mais cela ne suffit pas. Il faut séduire le public en publiant ou même avant de publier. Bernard-Henri Lévy en administre la preuve. Publication et publicité.

Jean Baudrillard découvre les délices de la séduction. La ruse, le jeu gratuit, le hasard mènent plus sûrement le monde que les lois inflexibles du capital ou de la biologie. La séduction n’est pas une attraction irrésistible du sexe. C’est trop naturel, spontané, simple. D’ailleurs, on organise ouvertement des séances de jouissance, mais on écarte soigneusement les préparatifs, les stratagèmes, les rites, les folies de la séduction.

En réalité, nous n’avons pas à choisir entre la production et la séduction, comme le demande Baudrillard. Nous sommes tenus d’exercer les deux activités en même temps. La séduction est apparemment le revers agréable de la production. C’est ignorer qu’il y a une bonne et une mauvaise production, une bonne et une mauvaise séduction. Dans un livre tonique, inspiré, Jean Baudrillard montre qu’un intellectuel se doit d’exposer des sentiments intimes. Mais alors il ne faut pas oublier que les règles de la fascination ou les lois de la dénégation s’exercent au premier chef sur les pages produites et reproduites.

Georges Sebbag

Note

Jean Baudrillard, De la séduction, éd. Galilée.

Références

« Produire et séduire », Le Fou parle, revue d’art et d’humeur, n° 12, mars 1980.